jeudi 28 janvier 2016

Stigmatiser la Grèce...

...Et son gouvernement si irritant ! Voilà l'aboutissement de la crise des migrants, dont un million serait passé dans l'UE via la Grèce en 2015. D'après le commissaire européen Valdis Dombrovskis, la Grèce a sérieusement négligé ses obligations, il y a de graves déficiences aux frontières extérieures qui doivent être surmontées. 
Et de critiquer le mauvais enregistrement des réfugiés, en oubliant les nombreux sauvetages effectués par les gardes-côtes (Limeniko soma) et les pêcheurs de Mytilène !



Ces propos, basés sur une évaluation de Frontex datée de novembre 2015 ouvrent la voie à une sorte de mise en quarantaine de la Grèce, qui pourrait se trouver placée temporairement hors de l'espace Schengen, avec à la clé des tracasseries aux frontières bien désagréable, et un impact sur l'activité touristique, une des richesses du pays qui représente le cinquième de son PIB ! Pire, si les arrivées de migrants se poursuivent massivement, ils resteront bloqués en Grèce sans issue aucune, l'Albanie et la Macédoine pouvant fermer militairement leurs frontières. La chose est déjà faite en Bulgarie.

Tout est de la faute des Grecs, évidemment, mal organisés, feignants, de gauche, à punir. Il faut retirer des yeux de  M. Dombrovskis les peaux de saucisson qui les obstruent et lui fournir des éléments lui permettant d'affiner son analyse.
Depuis 2010, chacun le sait, la Grèce subit l'austérité imposée par les diktats d'une troïka inhumaine et rapace, véritable Léviathan du peuple grec. L'austérité a entraîné une baisse drastique de la dépense publique et la désorganisation d'un Etat déjà faible. La géographie du pays est ce qu'elle est : il y a en Grèce des milliers de km de côtes et des îles comme Mytilène, Chios, Samos, Léros, Kos situées à peu de distance de la Turquie. L'ignoble guerre de Syrie enfin, à laquelle nul n'est foutu de mettre un terme a fait le reste lançant sur la mer des milliers de réfugiés désemparés.

Mais voilà une nouvelle occasion pour le gouvernement allemand, ses satellites d'Europe centrale et ses séides de la commission européenne de stigmatiser la Grèce, cette supposée passoire à pauvres !

Que l'on aide la Grèce, massivement, à résoudre le problème dans la dignité et l'humanité, et qu'on cesse de la dénigrer. Je gage que si les amis de la Chancelière étaient au pouvoir à Athènes une réaction plus solidaire aurait prévalu.
Au fait, bizarre, lorsque nous traversons la frontière gréco-macédonienne, nous sommes toujours contrôlés sérieusement, avec interrogation de bases de données. Bizarre vous dis-je.





samedi 16 janvier 2016

Monastères de Macédoine et de Serbie

Aller de Grèce en France en voiture par l'excellente autoroute des Balkans en traversant la Macédoine (FYROM) et la Serbie permet la découverte de richesses touristiques mal connues : villages traditionnels, bazars d'époque ottomane, villes où voisinent églises et mosquées turques avec leur haut minaret à toit pointu, forteresses, monastères orthodoxes médiévaux.

On rencontre peu de visiteurs étrangers. Malgré des paysages superbes et l'abondance des centres d'intérêt les pays balkaniques sont hors des circuits du tourisme international.

L'histoire récente de l'ex-Yougoslavie nous a parfois interpellés. Mitrovica, Sarajevo, Osijek évoquent les horreurs des années 1990 et les tensions nationales et religieuses ne sont pas toutes apaisées : il est très difficile de pénétrer au Kosovo et au printemps 2015 des miliciens albanais ont tenté un coup de force sur la ville de Kumanovo qui s'est soldé par 22 victimes... Mais nous n'avons rencontré que des gens accueillants.

Ceci étant écrit nous avons décidé de visiter Ohrid en Macédoine et les monastères de la Raska et de la vallée de l'Ibar en Serbie du sud. C'est là que se trouvent les vestiges des royaumes médiévaux de Bulgarie et de Serbie. Ces Etats se sont dégagés de la tutelle de Byzance du 10e au 12e siècle puis ont été détruits par les Ottomans entre le 14e et le 15e siècle. La célèbre bataille de Kosovo, qui voit tomber le roi serbe Lazar et le sultan Mourad date de 1389.

Première étape Ohrid, ville magnifiquement située au bord du lac Prespa du nord et dominée par la forteresse du tsar bulgare Samuel.
C'est d'Ohrid, toute proche de la Grèce, que les moines Cyrille et Méthode sont partis évangéliser les peuples slaves. D'où l'alphabet cyrillique. La ville est à l'origine du patriarcat bulgare. Son premier titulaire est saint Clément.
La ville et ses environs renferment deux sites majeurs, la monastère se Saint-Naum et l'église Saint-Jean de Kaneo, de petites églises byzantines, un musée d'icônes et un musée ethnographique installé dans une vieille demeure patricienne, la maison Robev. Les maisons de pierre et de bois sont semblables à celles de la Grèce du nord. Moins de décoration peinte toutefois.


la maison Robev
Coffres traditionnels dans la maison Robev


Saint-Naum

Ville et lac d'Ohrid
Saint-Jean de Kaneo


































Il est facile de loger à Ohrid à la fin d'octobre du moins !

Départ pour la Serbie après une brève visite de la mosquée peinte de Tetovo et une nuit à Kumanovo. Je recommande l'hôtel Satellit et le restaurant Baba Caga, gastronomique. En Serbie nous nous installons près de Kraljevo à au centre de la région des monastères. Le lendemain visite de Zica, premier siège de l'église autocéphale de Serbie (1208). Les souverains serbes y étaient couronnés.

Monastère de Zica



Fresque à Zica

Fresques admirables ! C'est Byzance !

Nous gagnons ensuite le monastère fortifié de Studenica, construit à la fin du 12e par le premier roi serbe, Stefan Nemanja. Les deux églises sont entourées par une puissante enceinte garnie de tours. On retrouvera cette disposition ailleurs.

Monastère fortifié de Studenica

Le roi fondateur Stefan Nemanja 
Le lustre de Studenica évoque les couronnes votives  germaniques


Aprés Studenica, arrêt au monastère rustique de Stara Pavlica, Fresques de qualité, architecture et sculpture à l'avenant et le charme d'une église rurale, couverte de tapis locaux, sentant l'encens. On adore !
















Stara Pavlica

Route vers Novi Pazar - une ville proche du Kosovo à forte minorité musulmane - et c'est le dernier monastère de la journée, Sopocani. Fondé en 1260, fortifié comme Studenica, on y découvre une admirable fresque représentant la Dormition de la Vierge. Hélas plus assez de lumière pour la photographier.


Sopocani



Le lendemain il nous faut prendre la route vers Belgrade et Trieste. On ne peut s'arrêter qu'à Ravanica, dans la vallée de la Morava. Ce monastère du 14e siècle, époque dite du Despotat, lorsque le roi serbe était vassal du sultan, présente une architecture très raffinée et de merveilleuses fresques. Il est puissamment fortifié et abrite la tombe du roi Lazar, mort lors de la bataille de Kosovo.




Ravanica


Les monastères de Lesnovo en Macédoine et de Miliseva tout près du Monténégro seront mis au programme d'un autre voyage balkanique !


Si vous souhaitez approfondir, visitez le site de l'office du tourisme de Serbie: http://www.serbie.travel/culture-fr/monasteres/



lundi 11 janvier 2016

Ce qui ne va pas en Grèce

J'aime la Grèce au point d'y vivre et d'y travailler une partie de l'année. Et j'aime le peuple grec qui m'a donné de nombreux amis sincères et fidèles. Toutefois ma situation de semi-expatrié et la crise ouverte dans laquelle le pays est plongé depuis 2008 m'invitent à exprimer ce qui, à mon sens et vu de mon île de Tinos, ne fonctionne pas ou mal en Grèce. Je prendrai pour ce faire des exemples concrets, en racontant des faits où j'ai été personnellement acteur ou bien des situations dans lesquelles des proches se sont trouvés mêlés. Enfin j'organiserai mon propos autour de thèmes directeurs : conservatisme, chacun pour soi, refus de l'Etat, corruption, bureaucratie.

Conservatisme
Tinos vit de son pèlerinage célèbre, d'un peu de tourisme l'été, d'agriculture, surtout vivrière, et avant la crise la construction était une activité importante. Le rêve de beaucoup est le retour pur et simple aux années de prospérité 2000 - 2008, lorsque les maisonnettes poussaient comme des champignons à Porto ou à Triandaros ! Soyons réalistes : il faudra beaucoup de temps pour que le pouvoir d'achat des Athéniens soit restauré et qu'ils se remettent à acheter des maisons de week-end à Tinos. Il faudrait trouver de nouvelles voies de développement pour l'île : tourisme durable, promotion des excellents produits agricoles locaux, essai de nouveaux produits ou de nouvelles techniques. Malgré quelques initiatives (plantation de cépages nobles, essais de culture de capriers, d'aloès), ces voies restent très peu explorées. Lorsque j'ai débuté mon activité de maître de stages de distillation de plantes sauvages, tout le village de Skalados ou presque m'a pris pour un gentil fada, les huiles essentielles n'appartenant pas à la tradition locale. Lorsque je plante dans mon jardin des variétés de tomates françaises ou des courgettes italiennes, je me heurte à la méfiance : ces légumes ne sont pas d'ici, ils ne pousseront pas. Et que dire du voisin d'un de mes amis qui a pour principe, en dépit d'un climat très changeant, de vendanger sa vigne systématiquement le 7 septembre parce que son père faisait ainsi et que le père de son père faisait ainsi ! Certes la tradition permet à l'homme de se situer dans une perspective culturelle, mais elle peut devenir un boulet que l'on traîne et s'opposer gravement à l'innovation créatrice.
Attention enfin, si vous réussissez, on va vous imiter !

Chacun pour soi
J'ai envie de rajouter et Dieu pour tous, puisque les non pratiquants, orthodoxes ou catholiques sont peu nombreux. Mais que penser du voisinage entre une rutilante Porsche Cayenne coûtant 150 000 EUR et un pauvre véhicule vieux de 20 ans ou plus dont les plaques d'immatriculation ont été retirées suite à l'impossibilité pour son propriétaire de payer la vignette auto... Cette scène, dans une rue de Krokos, aurait mérité une photo. Autre exemple : deux gréco-américains originaires de Tinos se baladent dans les villages avec une énorme Ford mustang décapotable. Ils ne parlent qu'anglais - la langue de la réussite - avec l'accent yankee, font tout pour montrer qu'ils regorgent de dollars et sont l'objet de la vénération universelle.  Oui, en Grèce l'extrême pauvreté (des retraites paysannes à 200 EUR mensuels) voisine avec l'opulence ostentatoire de quelques uns et c'est très choquant. Lorsqu'on rencontre un problème économique, on se tourne d'abord vers sa famille et on se soumet, on ne cherche pas à exiger davantage de justice sociale. Parfois on entre dans la clientèle d'un puissant ou supposé l'être.

Refus de l'Etat
Sans doute la petite Grèce n'a pas réussi à atteindre les objectifs qu'elle s'était fixée aux 19e et 20e siècles, la restauration de l'Empire de Byzance pour faire simple, sans doute est-elle restée à bien des égards un morceau de l'empire ottoman (cadastre ou rôle des clientèles par exemple). Et les Grecs en ont conçu de l'amertume. Tout de même, La Grèce existe depuis 1830 sur la scène internationale et a su générer des hommes d'Etat de premier plan, comme le grand Crétois Venizelos ou repousser l'agression fasciste de 1940. Malgré cela, on peut aujourd'hui écrire comme il y a 100 ans que l'Etat grec est à construire à partir de la base, la collecte de l'impôt, acquise en France depuis le 17e siècle. Le nouvel impôt foncier (EMFIA), qui frappe toutes les propriétés dans un esprit de justice (mais il y a des bavures) est appelé kharadj par les contribuables. Savez-vous ce qu'est le kharadj ? Un impôt discriminatoire perçu par le pouvoir ottoman et reposant sur les seuls Chrétiens afin de racheter leur exemption du service armé. Lorsque je travaillais en France, j'étais conservateur de bibliothèque, terme que le dictionnaire de Mirambel traduit d'une manière erronée par éphoros. En grec moderne, l'éphore, c'est le percepteur, le phoros, autrefois le tribut, c'est l'impôt. Pensant que j'étais en France un collecteur d'impôt, mes voisins de Skalados ont, pour rire bien sûr, aiguisé leurs couteaux... Le refus de l'impôt empêche la constitution d'un Etat juste et concentre le fardeau fiscal sur ceux qu'il est facile de contrôler, les salariés, les retraités. Il faut rompre ce cercle et faire payer les possesseurs de Porsche Cayenne. Je renvoie à l'excellent roman de  Pétros Markaris, Le Justicier d'Athènes.

Corruption et arbitraire
Je n'ai jamais été directement confronté à des fonctionnaires corrompus, mais j'ai peur  ! Un ami, acheteur il y a quelques années d'une maison paysanne à Tinos, a dû attendre 5 ans son permis de rénover : une commission, en préfecture à Syros, lui réclamait sans cesse des documents nouveaux ou faisait la morte des mois durant. Peut-être voulaient-ils quelques billets dans une enveloppe. Le problème a trouvé une solution rapide dans le cadre d'une plainte devant la cour européenne des droits de l'homme. Le service des permis de conduire de Syros était corrompu et son directeur a connu des ennuis judiciaires. Obtenir un permis était simple : il fallait glisser une enveloppe bien garnie dans les mains de l'inspecteur. Je tremble enfin devant l'arbitraire : un fonctionnaire grec peut causer de très graves ennuis à un homme honnête et les recours sont bien compliqués.

Bureaucratie
Cet Etat mal construit souffre de sa bureaucratie. J'ai eu besoin au printemps 2015 d'une traduction officielle de pièces concernant ma petite entreprise. J'ai confié l'opération à un avocat qui  a adressé les pièces au ministère des affaires étrangères à Athènes et m'a demandé d'avancer les frais de traduction. Un mois, 2, 3 mois passent, toujours rien. En septembre, l'avocat me téléphone : les documents lui ont été retournés non traduits car il manque l'apostille qui les authentifie. Me voilà donc renvoyé vers le tribunal de commerce dont je dépends en France. Et pourtant ce sont bien les documents originaux que j'ai transmis ! Dites-moi comment entreprendre dans ces conditions ! Indirectement, c'est encourager le travail au noir. Au reste c'est ce type de travail qui permet à beaucoup de Grecs de vivre.

Un héritage de l'histoire
J'y pense sans cesse : la Grèce, ottomane du 15e au 19e siècle n'a pu connaître ces grandes sources de l'esprit critique qu'ont été la Renaissance et surtout les Lumières. L'Eglise, non séparée de l'Etat y est omniprésente, véhiculant une tradition parfois anti-occidentale et conformiste. Les Ottomans ont cristallisé corruption et clientélisme (il existe toujours dans certaines régions un vote de clientèles). Enfin les rois du 19e étaient des étrangers, Bavarois puis Danois, mal ressentis par le peuple : ils ont construit un rêve néoclassique et un parlementarisme de façade. Le peuple est resté étranger à tout cela enfermé dans des mentalités qu'un historien français peut qualifier d'ancien régime.
Je pense que le gouvernement Tsipras, mis en tutelle par les créanciers du pays, doit s'attaquer courageusement à la réforme de l'Etat, dans une optique d'aggiornamento : justice fiscale, lutte contre les corrompus et les bureaucrates, encouragements à l'innovation. Cette réforme coûte peu. Voici la tâche d'un gouvernement d'hommes neufs : reconstruire un Etat juste qui saura être populaire.

dimanche 3 janvier 2016

Que peut-on espérer du gouvernement Tsipras ?

Il y a 11 mois les Grecs élisaient leur parlement et donnaient à une force nouvelle, SYRIZA, une majorité d'élus. Un gouvernement de gauche radicale, présidé par Alexis Tsipras, accédait au pouvoir en Grèce et promettait au peuple de se battre pour casser le carcan de l'austérité toxique imposée par les créanciers. Un immense espoir soulevait le pays et débordait ses frontières. Le ministre des finances Varoufakis bousculait les concepts néo-libéraux et tentait de convertir ses collègues de l'Eurogroupe à une vision macro-économique ambitieuse.
Le printemps et l'été de 2015 ont vu tomber tous ces espoirs. Dans la nuit du 13 juillet, coincé entre la volonté du peuple grec de rester dans l'Euro, l'intransigeance des prêteurs et l'asphyxie de l'économie du pays, sciemment organisée, Alexis Tsipras cédait aux créanciers, acceptait globalement les politiques d'austérité et, plus grave encore, une véritable mise sous tutelle de la Grèce : toute décision coûteuse du gouvernement grec devant être soumise à l'approbation d'une troïka restaurée et renforcée !

Dans ces conditions, qu'attendre du deuxième gouvernement Tsipras ? Certes des escarmouches, comme lors du vote de la loi sur les saisies immobilières il y a quelques semaines. Mais rien de plus. Les prochaines empoignades seront pour le système des retraites qui est actuellement au bord de la faillite. Et pour le système de santé public, en ruine. Le gouvernement grec cédera sans doute sur tout, espérant que le rétablissement de la "confiance" fera revenir l'argent dans les banques et  permettra d'en finir avec le contrôle des capitaux...Et que la négociation sur la dette soit enfin ouverte, et que le pays puisse profiter de la politique de rachat de dettes nationales engagé par la BCE. Le gouvernement Tsipras se conduit et se conduira comme un simple gouvernement social-démocrate, gestionnaire de l'austérité, je pense.

Mais on peut encore espérer de ces nouveaux venus dans le paysage hellénique l'engagement d'une vigoureuse politique de réforme de l'Etat et notamment du système fiscal.
Il reste très difficile de fonder une entreprise en Grèce, à cause d'une réglementation tatillonne servie par des fonctionnaires peu compétents et peu zélés, ce qui encourage le travail au noir, peu contrôlé. Quant au système fiscal, le Français naïf que j'étais a ouvert de gros yeux en apprenant, puis en constatant que les plus riches ne payaient que très peu d'impôts. Présentement sont lourdement taxés les seuls salariés et retraités, dont les revenus sont faciles à contrôler.
Dans le contexte actuel, où peu de choses peuvent être obtenues des créanciers, j'espère voir le gouvernement Tsipras se lancer dans la construction d'un Etat juste

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