jeudi 28 mars 2019

Description de Tinos en 1809


Je viens de découvrir une rareté dans la bibliothèque numérique de Google : le livre de Marc-Philippe Zallonis, Voyage à Tine, l'une des îles de l'archipel de la Grèce, suivi d'un traité de l'asthme, édité à Paris en 1809 chez Arthus Bertrand.
L'auteur est né à Krokos, village de Tinos, en 1782. Envoyé à Paris pour étudier la médecine en 1801, il est reçu docteur en 1809 et deviendra médecin officiel du grand vizir à Constantinople.
Son livre décrit Tinos à l'époque ottomane : c'est un précieux témoignage signé d'un homme des Lumières, pionnier d'une médecine scientifique et attentif aux conditions sanitaires des populations.
Ainsi que l'ai fait pour les oeuvres de Choiseul-Gouffier et de Tournefort je vais reproduire certains passages du Voyage à Tine et les commenter.




Les institutions politiques de Tinos sous les Ottomans

Tine passa en 1714 sous la domination de l'Empire ottoman et le grand seigneur (1) la donna comme fief à Velli Effendi Zadé (2). Néanmoins les habitants sont encore autonomes... c'est à dire qu'ils se gouvernent par leurs propres lois. Ils choisissent parmi eux un tribunal d'où sont tirés tous les deux ans deux primats ou "proestis" chargés de l'administration du pays et qui ont au dessous d'eux des administrateurs subalternes appelés "épitropes".... Les primats sont obligés de tenir prêt tous les ans le tribut que l'île paye annuellement au gouvernement turc et qui est de 60 000 à 70 000 francs.
Quelque temps avant l'époque où le tribut doit être livré les proestis ordonnent aux "protogeris" ou chefs de villages de préparer les sommes que leurs villages doivent payer pour l'année. Chaque protogeros rassemble les habitants de son arrondissement et c'est dans cet espèce de conseil que les particuliers sont imposés suivant leur fortune. On est taxé à tant par tête, tant pour une ruche d'abeilles, une chèvre, un cheval, un colombier. Les primats sont généralement obéis et respectés. Quelquefois il faut user d'une plus grande rigueur qui presque toujours irrite les habitants et les porte à la révolte...L'insurrection s'annonce par le son du tocsin... Afin de punir les insurgés le gouvernement turc envoie un "vaivode" ou espèce de fermier qui en payant d'avance la moitié du tribut acquiert le droit de percevoir ou plutôt de rançonner sans pitié les malheureux habitants. Il fait ordinairement sa résidence à Kambos....Il amène avec lui plusieurs Turcs dont il se sert pour inspecter la récolte des paysans... On s'aperçoit enfin combien le gouvernement turc a été terrible dans sa colère lorsqu'il a envoyé cette sangsue altérée, cette harpie pour exécuter ses vengeances.... Tine a été dans tous les temps exempte de droits de douane.

Les Ottomans en prenant Tinos n'entendaient pas l'administrer; ils voulaient faire de l'Egée un lac turc et prélever des richesses. L'auto-administration de l'île leur convenait parfaitement pour peu que le tribut, signe de soumission et impôt à la fois, fut payé. 

Tinos était exempte de droits de douane, contrairement à ce qui avait cours sous la domination vénitienne; cette particularité fait de l'île un zone franche et explique en partie sa prospérité au 18e siècle. 



Villes et villages

San Nicolo, sur la côte occidentale de l'île... est une ville qui est le principal abord de l'île et le lieu du commerce. C'est la résidence de l'archevêque grec, du proesti, de l'épitrope, des consuls et des négociants. L'église latine est dédiée à saint Nicolas. Celle des Grecs, appelée Métropoli, est très belle et richement ornée. Elle a un superbe clocher très élevé et bâti tout en marbre blanc poli... Les maisons de San Nicolo sont assez bien bâties et ne manquent pas d'élégance mais ses rues comme celles de toutes les villes du Levant manquent de symétrie. Devant le port est une place publique nommée Balanza où l'on décharge les marchandises. Les magasins des marchands sont bâtis autour de cette place. A strictement parler San Nicolo a une rade et non un port, mais à une demi lieue au sud, au delà d'une pointe où tournent des moulins (3), il y a un beau port appelé Saint-Jean... Il peut contenir plusieurs bâtiments et les met tout à fait à l'abri des vents qui viennent du côté de la Tramontane (3).En sortant de la ville du côté du nord, par un endroit nommé Camares, on trouve un petit ruisseau qui se jette dans la rade et un couvent de Récolets. En suivant du même côté le bord de la mer on arrive en un quart d'heure au lazaret (4)....

A environ une heure et demie de marche de San Nicolo, dans l'intérieur de la montagne la plus élevée de l'île, est situé le Bourg (il Borgo), qui était autrefois une place forte, mais moins par l'art que par la nature. Aujourd'hui les fortifications sont détruites et le Borgo complètement abandonné... Au dessous de il Borgo... sur la pente de la montagne est l'Exomborgos ou le faubourg qui est aujourd'hui le lieu habité. Dans le temps de la domination vénitienne ce lieu était le séjour ordinaire des nobles et des riches lorsque l'on était en paix avec les Turcs, pendant la guerre ils se réfugiaient dans la forteresse du Bourg. Il y a dans ce faubourg plusieurs maisons d'une très belle architecture, mais la plupart tombent en ruine ou ne sont pas habitées. Cependant au milieu de ces débris on rencontre d'anciennes familles nobles qui gouvernaient la pays avec les Vénitiens... L'Exomborgos est aussi la demeure du vicaire latin de cette île. On y voit trois belles églises; les trois-quarts des habitants sont catholiques...
De l'Exomborgos à Xinara on compte une demi heure de marche... Ce village qui est très fort est situé sur la pente de la montagne du Borgo... C'est dans cette partie que réside l'évêque latin. On y trouve le collège et deux églises, celle de saint Nicolas et l'épiscopale. Tous les habitants sont catholiques.
A un quart de lieue de Xinara, en descendant, on arrive à Loutra; ce village abonde en fruits et son terroir parfaitement bien arrosé est très fertile. Il ne s'y trouve pas de bains, bien que son nom semble l'indiquer (5). Les habitants qui sont tous catholiques y ont une grande et belle église.
De Loutra on va en dix minutes à Kroko, village peu considérable. C'est la patrie de l'auteur. La religion catholique est la seule qu'on y professe... Le village de Sikhalado, situé au sommet d'une montagne se trouve à cinq minutes de chemin de Kroko. Les habitants en sont catholiques. Au dessus du village ... il y a deux moulins à vent qu'on appelle moulins de Riseri.
De Sikhalado on va en un quart d'heure à Vollakos, village bâti dans les rochers, au milieu d'un terrain qui n'est pas susceptible de culture. Les habitants sont catholiques. Ils n'ont pas d'autre occupation que de faire des paniers. Le village de Koumaros est à dix minutes de l'Exomborgos. Il est situé sur la pente de la montagne entre d'affreux rochers... Les habitants en sont catholiques. C'est de ce lieu que sort le premier ruisseau de la rivière de Lazaro. Il est joint presque à son origine par le ruisseau qui sort près d'une église appelée Spiliotissa ou Notre-Dame de la Grotte.

En 1809 San Nicolo, l'actuelle ville de Tinos, a remplacé Exombourgo en tant que capitale. Exombourgo tombe en ruine et si l'on y rencontre encore de nobles personnages, sans doute grands propriétaires fonciers, ces derniers ont perdu la partie contre la bourgeoisie marchande du port qui jouit de franchises inconnues à l'époque vénitienne.
Je me suis borné à reproduire la description des villages du centre de l'île : Xynara, sa cathédrale et son palais épiscopal devenu mairie, Loutra et son riche terroir, Skalados et ses moulins, Volax et ses paniers. En fait on reconnait Tinos plus de 200 ans après !


Agriculture et produits de Tinos

On y recueille plusieurs espèces d'oranges et de citrons, du miel, de la cire, toutes sortes de fruits produits par les arbres à tiges rampantes, des légumes, des prunes, des noix, des figues, des raisins, des vins de toutes sortes, des aulx, des mûres mais point de pommes. On y fait des fromages mous, très peu d'huile, de l'eau-de-vie tirée des raisins, quelquefois des figues et des mûres noires...
La soie serait un des grands revenus de l'île si les habitants étaient plus instruits dans l'art d'élever les vers à soie.. (6). Les terres les mieux entretenues et les mieux cultivées peuvent donner dans une année fertile pour 10 kg de semence 90 à 100 kg d'orge, 70 à 80 de blé... et année commune 60 à 70 kg d'orge et 40 à 50 de blé. Ce faible produit suffisant à peine à nourrir les habitants pendant 4 ou 5 mois on est obligé d'aller chercher du blé et de l'orge en Asie ou en Grèce. De là il résulte un monopole odieux sur ces denrées qui sont vendues aux pauvres à un prix excessif... Les terres sont labourées avec l'araire ou aletro; c'est le seul procédé possible les terres étant morcelées... d'ailleurs le sol inégal et raboteux ne saurait admettre la charrue. On se sert toujours de boeufs  pour le labourage. Ils sont attelés à l'araire par un joug ou zigos fixé en avant des épaules et non aux cornes comme en France... Pour disposer la terre à recevoir le blé ou l'orge on la laisse reposer une année, mais ce repos n'est pas absolu, on sème alors des haricots et des pois chiches. Quelque temps avant d'ensemencer on fume les terres. L'engrais qu'on emploie de préférence pour celles qui sont naturellement ingrates se tire des pigeonniers. Bientôt on laboure... c'est après les pluies que se font les semences. On moissonne dans le mois de mai ou en juin.
Le figuier est de tous les arbres de l'île qui s'y trouve en plus grande quantité...On laisse tomber les figues qui doivent être conservées pour la consommation de l'année... Pour achever de les sécher on les expose au soleil, ensuite on les met dans des grands vases de terre en les entassant.
Les vignes sont plantées dans les endroits pierreux... leurs branches sont d'une longueur si démesurée que celles d'un seul cep occupent quelquefois une circonférence de de 80 à 100 pieds. Elles s'étendent alors horizontalement... Cette position des branches est loin de nuire au fruit, elle met la vigne à l'abri des vents...

Les amateurs auront reconnu le populaire raki dans cette eau-de-vie de raisin ! La sériciculture était en effet importante à Tinos, ainsi que le pointent tous les auteurs. Il faut mettre cette industrie en rapport avec les nombreux mûriers que l'on rencontre encore sur l'île et qui n'a pas vu, en août, les figues sécher sur les toits en terrasse ? Les faibles rendements céréaliers, l'assolement biennal tempéré par la culture de légumineuses expliquent  la difficile situation d'une île de plus de 20 000 habitants où la disette n'est pas inconnue...Et la mise en culture de la moindre bande de terre. Comme l'écrit Cornélius Castoriadis, Tinos est une île faite à la main. Quant aux vignes, si l'on excepte celles que cultivent dans l'île de rares vignerons à la recherche de la qualité, elles courent toujours à terre perpendiculairement aux restanques et donnent un vin de qualité très irrégulière.


La maison tiniote

Dans toute l'île on ne voir ni chaumière ni cabane; les maisons sont en pierre et assez bien construites, elles sont composées d'un rez-de-chaussée et d'un premier étage. Le rez-de-chaussée est divisé en 2 parties dont l'une appelée kiela et ayant vue sur la rue reçoit les immondices du dedans et du dehors; on y élève des pourceaux et elle contient le poulailler. En entrant dans les villages... l'oeil est désagréablement affecté lorsqu'il aperçoit de tous côtés ces étables à cochons d'où s'exhalent des vapeurs fétides qui infectent l'air. La seconde partie, appelée katogi , est séparée par un mur : elle sert à la fois de cellier et de magasin. C'est là que sont déposés de grands vases de terre destinés à conserver le blé, le vin, les figues... Le premier étage est réservé pour le logement... Les maisons des Tiniens ont toujours au dessus du magasin un salon qui sert de lieu de réunion et dont les meubles consistent en un petit sopha, une grande table de noyer qui peut tenir une douzaine de personnes et plusieurs chaises qui occupent les coins de l'appartement. on place aussi dans le salon de grandes caisses de 8 à 10 pieds de long... où sont renfermés les vêtements; sur les murailles nues se voient des tableaux et des images qui représentent le plus souvent des saints... Le dessus des maisons est construit en terrasse sur lesquelles et tout autour on plante du safran. Chaque maison a au premier étage un balcon très large et au rez-de-chaussée une cour.

La description de la maison tiniote reste valable de nos jours. Tout au plus a-t-on supprimé le keli et ses cochons et souvent installé une salle de bains et des toilettes sur ce que l'auteur nomme le balcon... Bien sûr les toits couverts de crocus ont disparu au profit de dalles de béton armé bien pentées, beaucoup plus étanches. Mais l'esprit reste identique.


Les moulins

Sur presque toutes les hauteurs de Tine on trouve des moulins à vent construits en pierre et dans la forme de tours rondes. Le dôme seul peut tourner. Ils ont huit ailes en bois garnies de leurs toiles... Les moulins à eau de la rivière de Lazaro et d'Aghapi ne sont pas estimés. Lorsqu'on y entre on croirait presque se trouver dans la sentine d'un vaisseau.


Notes
(1) Le grand seigneur est le sultan ottoman.
(2) Ce personnage est un ouléma, dignitaire religieux musulman.
(3) Si je comprends bien ce port abrité se trouvait à Agiali, contre le cap qui porte l'actuel monument commémorant le torpillage de l'Elli. Des moulins sont signalés là par Choiseul-Gouffier.
(4) Le lazaret est le lieu où les marins suspects de peste effectuaient la quarantaine.
(5) En effet Loutra signifie les bains.
(6) Ici Zallony contredit Choiseul-Gouffier et Tournefort qui insistent sur l'importance de la sériciculture, du filage et de la bonneterie de soie. Considérons aussi que l'importation de céréales venues de Grèce ou d'Asie devait être payée par une activité non agricole.








lundi 18 mars 2019

Le parc éolien de Tinos

Voici la traduction et le lien d'une vidéo signée par Unis pour notre île et publiée en grec par TinosToday le blog de la municipalité de Tinos. N'hésitez pas à partager !

Je rappelle que Tinos est menacée par l'implantation sur la montagne de Pateles et à Karabinia d'éoliennes géantes portées par des mâts de 110m de hauteur. Des travaux ont débuté, apparemment illégalement. Une mobilisation citoyenne, appuyée par les élus, est en cours. Presque chaque jours des responsables associatifs locaux, des leaders d'opinion s'expriment pour dénoncer le saccage de cette île jusqu'ici préservée.

Non au parc éolien ! (vidéo)


Unis pour notre île

La question de l'installation d'éoliennes à Tinos est une question qui nous concerne tous. C'est un problème qui changera l'image de notre île et affectera nos vies. C'est pourquoi nous avons décidé de préparer une vidéo de présentation du paysage rural de Tinos puis une vidéo de notre paysage  après l'installation des éoliennes, en taille naturelle, sur tous les points soumis à une licence de production. Pour comprendre ce qui va se passer. 


  


A titre indicatif, parmi les nouvelles éoliennes, l’éolienne actuelle (à Floporia, NDLR) est présente afin de mettre en évidence les tailles et de la comparer aux nouveaux modèles. Malheureusement, il n’était pas possible de présenter les sections de soufflerie, mais c’est certainement un problème majeur, qui a un impact décisif sur l’environnement, presque aussi fort que les éoliennes elles-mêmes. 

La semaine prochaine, une délégation de notre association se rendra à Athènes pour présenter le problème aux instances compétentes et demander une modification du cadre institutionnel afin de protéger l'environnement spécial des îles des Cyclades. Il est clair que la législation actuelle ne prend pas en compte les particularités locales. 

Nous devons insister dans cette direction. 

Tous ceux qui participeront au Parti communal "Unis pour notre île" travailleront sérieusement, coopéreront avec des organisations gouvernementales et non gouvernementales, s'organiseront et s'organiseront pour faire en sorte que ces éoliennes ne soient pas installées. 

La protection de l'environnement de notre île est notre responsabilité à tous.

mardi 12 mars 2019

Le moulin à olives du musée de Loutra


Traditionnellement Tinos exportait des vins, de la soie, des figues, du marbre, du talc et de l'huile d'olive.
Je connais dans l'île 4 moulins à olives plus ou moins conservés : un à Krokos, un à Perastra, un à Kato Klisma, un entre Loutra et Krokos. Ces moulins étaient mus à la vapeur, ainsi que l'attestent tuyauteries encore en place et bâtis de machines.
Dans le village de Triantaros on a mis en scène un moulin et un pressoir retirés de leur contexte.

Le musée de Loutra conserve un moulin à olives et un pressoir traditionnels, mus à la main, dans les ateliers du monastère. On peut supposer que les Jésuites, gros propriétaires fonciers, transformaient en huile commercialisable les livraisons d'olives de leurs métayers, après avoir prélevé l'huile nécessaire à leur consommation.


Comment produisait on l'huile d'olive ? La cueillette des olives est une activité d'automne, lorsque les fruits sont murs. Les femmes entourent le pied des arbres de filets et gaulent vigoureusement les branches afin de faire tomber les olives qui seront transportées vers le moulin et lavées. Le moulin se compose d'une auge de pierre dans laquelle tourne une meule verticale liée à un cabestan. On remplit l'auge d'olives et un manoeuvre pousse le cabestan pour que la meule écrase les olives et en fasse une pâte onctueuse.

Le moulin à olives du musée de Loutra

Peu à peu les noyaux broyés (les grignons) se rassemblent au fond de l'auge et la pâte devient une émulsion de pulpe, d'eau et d'huile. On extrait cette dernière par la méthode des scourtins. Imaginons une série de grands bérets  basques en vannerie que l'on remplit de moût d'olives et que l'on presse fortement à l'aide d'un pressoir à vis. Les scourtins vont retenir la pulpe et les grignons puis laisser s'écouler l'eau et l'huile. On va ensuite séparer les deux liquides par décantation ; l'huile qui est plus légère que l'eau monte à la surface des récipients utilisés.

Les scourtins entre les plateaux du pressoir

Le pressoir à olives
Ces opérations sont réalisée à température ambiante : le chauffage de la pâte augmenterait
 la quantité d'huile produite au détriment de la qualité. Et notons que tout est utilisé : les grignons sont récupérés et utilisés comme fertilisant !


mercredi 6 mars 2019

Eoliennes géantes à Pateles : soutenons la pétition de la mairie de Tinos !

Des mâts de 170 m ! Malheureux habitants de Kardiani et d'Ysternia, pauvre et fière montagne de Pateles ...
Un champ de petites éoliennes coûterait trop cher. Décidément le capital se fout de l'environnement et des restanques de Tinos récemment classées par l'UNESCO. Et tout autant du vieux sentier vénitien des crêtes qui sera détruit entre Floporia et Karabinia !


Les sites des éoliennes projetées au dessus des villages d'Ysternia et de Kardiani


Voici le texte que me m'a fait parvenir une amie :


Le mouvement des Verts grec et la fondation Theofrastos green demande la cessation immédiate des activités et l'annulation des permis d'exploitation de parcs éoliens à Tinos et publie la déclaration suivante :

"Il est regrettable que l'île de Tinos, caractérisée par sa beauté naturelle, sa biodiversité, son tourisme et surtout son identité culturelle, exemple unique de l'architecture traditionnelle, soit sacrifiée sur l'autel du" développement " 

Le Mouvement vert a maintes fois formulé ses positions en faveur des sources d’énergie renouvelables, de manière à ce qu’elles servent la pensée politique verte et le développement durable. C’est contre les parcs de production de masse pharaoniques et seulement pour les petites unités locales que l’on respectera pleinement les principes d’écologie, d’environnement, de développement culturel local, d’écosystème local et de la spécificité de chaque lieu de production.

Sur ce sujet, Nikos Papadakis, président de Theophrastus Green Foundation, dénonce : à Tinos, sous le prétexte, à tort, de fournir une énergie propre et un développement vert, on assiste à un crime environnemental et culturel de grande envergure

"L'installation massive d'éoliennes sur l'île n'est pas liée aux besoins locaux. Tinos est une rareté dans la beauté et la biodiversité du territoire grec et, comme on peut s'y attendre d'interventions de cette ampleur, l'esthétique du paysage et la disposition naturelle des crêtes sont déformées et le paysage magnifique fragmenté. Les éoliennes à installer auront généralement une hauteur de 70 à 120 mètres et pour chaque éolienne nécessiteront au moins 400 mètres cubes de béton, de nouvelles routes d'accès seront ouvertes jusqu'au sommet des montagnes jusqu'à 10 mètres de large, sur des pentes abruptes, avec modification de la physionomie de la région ainsi que la construction de routes internes dans les parcs éoliens. Les études d’impact sur l’environnement ne comportent pas d’études hydrogéologiques, de sorte que l’excavation des sols et le fonctionnement des éoliennes risquent de perturber les eaux souterraines et de surface et de détruire la structure hydrologique de l’île. Les impacts ultérieurs sur les villages alimentés par les sources de ces montagnes ainsi que sur la production agricole primaire sur une île avec un problème de captage d'eau pendant la plupart des années sont également incalculables. La construction de nouvelles routes entraînera une fragmentation des habitats et affectera également l'économie rurale traditionnelle, car les terrasses montagneuses sur les flancs des montagnes seront détruites par l'ouverture de nouvelles routes. Les effets sur l'économie locale seront également catastrophiques. Avec la création d'un paysage industriel, le tourisme doux, naturel et alternatif ainsi que le tourisme culturel qui se développe sur l'île subira de graves dommages. Le paysage cycladique "fait main" de Tinos, avec ses alternances importantes, est unique et est resté pratiquement inchangé depuis des siècles avec les terrasses, les murs en pierre sèche (qui ont récemment été inscrits sur la liste du patrimoine culturel de l'Unesco), le plus grand réseau de sentiers cycladiques , les fameux pigeonniers et une cinquantaine d’établissements traditionnels. "

Le Mouvement vert et le candidat du gouverneur régional de l'Attique et président de la "Theophrastos Green Foundation", Nikos Papadakis, invitent les citoyens qui ne sont pas d'accord "avec le désastre environnemental qui a été lancé à signer la résolution du ministère de l'Environnement et de l'Énergie intitulée" éoliennes sur l’île de Tinos "et ensuite de le communiquer pour le diffuser" sur le lien: https://secure.avaaz.org/el/community_petitions/Ypoyrgeio_Perivallontos_kai_Energeias_Ohi_stis_anemogennitries_sto_nisi_tis_Tinoy

dimanche 20 janvier 2019

L'imbroglio macédonien

Depuis l'hiver 2018 la question macédonienne enflamme à nouveau l'opinion grecque et nous, Français ne comprenons pas grand chose à cet imbroglio issu des siècles passés, ravivé par le nationalisme de l'Etat grec aux 19 e et 20 e siècles et désormais compliqué par le jeu fourré des USA dans les Balkans.




La querelle actuelle remonte à la décomposition de la Yougoslavie et à la proclamation en 1991 à Skopjé d'une république indépendante de Macédoine prenant pour symbole national le soleil de Vergina, l'emblème d'Alexandre le Grand. En Grèce la réaction est violente : embargos, campagne pour empêcher la reconnaissance internationale du nouvel Etat, manifestations de masse. Au delà de la querelle sur le nom et les symboles - Alexandre le Grand appartient évidemment au patrimoine hellénique - les Grecs redoutent de voir Skopjé revendiquer des territoires en Macédoine égéenne, acquis lors des guerres balkaniques et partiellement peuplés de Slaves macédoniens.

Mais le conflit a des racines profondes. Comme la Grèce, la Bulgarie ou la Serbie, l'actuelle république de Macédoine est un territoire post-ottoman issu du partage de la province de Thessalonique où se côtoyaient tant bien que mal chrétiens orthodoxes et musulmans, Slaves, Albanais, Grecs, Valaques et Juifs, minorités installées souvent par la volonté des sultans. En 1912 - 1913 les armées bulgare, serbe et hellénique ont arraché ce territoire plongé dans la guerre civile (guerre des Komitadjis) à l'Empire ottoman puis l'ont partagé dans la douleur, Serbes et Grecs en recevant la meilleure part, la Macédoine égéenne et Thessalonique pour les Grecs, celle du Vardar avec la route reliant l'Egée à l'Europe centrale pour les Serbes et celle du Pirin, stérile et montagneuse pour les Bulgares. Ce partage, effectué dans le contexte d'Etats-nations de type moderne ("westphalien" pour Georges Prévélakis) a entraîné des politiques d'assimilation, de déplacement, d'appropriation culturelles et même de purification ethnique appliquées aux minorités linguistiques et religieuses par les Etats-nations. En Grèce, la langue slave a été proscrite, les patronymes hellénisés; les Macédoniens sont devenus des Serbes du sud pour Belgrade, les Albanais ont été traités en sujets de seconde zone par tous et les musulmans souvent chassés vers la Turquie. Durant la seconde guerre mondiale les Bulgares et les Albanais, alliés de l'Axe ont pris une cruelle revanche. Enfin, durant la guerre civile grecque et dans le contexte de la guerre froide, Tito et Dimitrov lancèrent l'idée d'une fédération balkanique regroupant les trois Macédoines, au grand scandale des Grecs...
Tout cela a laissé des traces dans la conscience douloureuse des peuples. Il est impossible de considérer les guerres de Yougoslavie de 1990 - 95 sans se référer à l'histoire : les cadavres dans le placard abondent ! Ces peuples voisins ne s'aiment pas. Ou au minimum nourrissent les uns envers les autres une lourde méfiance.

La géopolitique actuelle vient ajouter une couche de complexité qui fait peu de cas de l'histoire profonde.
La guerre de Syrie nous fait vivre un retournement des alliances dont les conséquences se font sentir dans les Balkans tout entiers : la Turquie d'Erdogan, membre de l'OTAN, se rapproche de la Russie dans un contexte d'avancée de l'influence occidentale en Ukraine, en Albanie, au Kosovo et en république de Macédoine. La quasi-défection des Turcs comme gardiens des détroits et comme opposants naturels à l'accès de la puissance russe en Méditerranée renforce de fait le rôle stratégique de la Grèce.
Alors que Russes et Grecs partagent une relation ancienne et de nombreuses valeurs, Alexis Tsipras choisit clairement son camp, celui de l'Occident :
- dans l'hiver 2018 il annonce son intention de normaliser les relations de la Grèce avec Skopjé, où les élections de décembre 2016 viennent de porter au pouvoir un pro-occidental, Zoran Zaev; Tsipras indique que son pays ne s'opposera plus à l'entrée de la Macédoine dans l'OTAN et dans l'Union européenne; des manifestations monstres sont organisées à Thessalonique et Athènes;
- en juin 2018 un accord est trouvé entre Tsipras et Zaev : La Skopia, comme disent les Grecs va s'appeller Macédoine du Nord;
- en juillet 2018 : sous prétexte d'ingérence, des diplomates russes sont expulsés de Grèce. Il s'agit clairement d'isoler la Russie dans les Balkans où elle ne peut plus compter que sur la Serbie;
- en janvier 2019 Tsipras fait approuver de justesse par le parlement les nouvelles relations qui unissent Grèce et Macédoine du Nord, au prix de la démission du ministre Kammenos.

Si l'on suit les idées de Georges Prévélakis qui voit dans la position géostratégique de son pays une source de rente étrangère, européenne et américaine, on peut penser qu'une nouvelle vague de népotisme et de corruption va nourrir les "élites" grecques. Je renvoie à la fiche de lecture de Qui sont les Grecs ?
On peut aussi s'étonner de la plasticité du Premier ministre Tsipras, soi disant de gauche radicale qui devient la marionnette de Trump et de Juncker, contre le sentiment de son peuple. Je ne prétends pas qu'il faille soutenir en tous points le nationalisme grec, je ne crois pas à une revendication de territoires par la Macédoine du Nord, mais je m'étonne de voir évoluer ainsi un dirigeant qui pouvait incarner un contre pouvoir en Europe orientale et préparer efficacement l'instauration de rapports meilleurs entre l'Europe et la Russie.


mercredi 9 janvier 2019

A propos de quelques objets conservés au musée d'art populaire de Loutra

En 1840 les Jésuites de Tinos abandonnèrent leur maison d'Exombourgo pour s'installer à Loutra. Leur nouveau monastère, où ne réside plus aujourd'hui qu'un seul Père, comprend un vaste enclos nourricier, une église, un ensemble de 15 chambres, une vaste cuisine, un salon de réception, une bibliothèque et un atelier dans lequel étaient préparés les produits agricoles destinés aux besoins de la communauté, qui comme tout le monde à Tinos, vivait dans une quasi autarcie.
C'est dans cet atelier que les Jésuites ont rassemblé autour d'un moulin à olives et d'un pressoir, de nombreux objets qui témoignent du travail et de la vie quotidienne des Tiniotes. On ne peut que saluer leur souci de préservation et de mise à la disposition du public du patrimoine paysan.

Les outils du laboureur

On trouve à Tinos deux types d'araires, une grande, destinée au travail des champs et une petite adaptée au travail des jardins. Toutes deux sont construites en bois dur et sont équipées d'un soc amovible, susceptible de passer à la forge; beaucoup de bois et peu de métal, produit cher venu de loin !


Debout contre le pilier on remarque le joug, très simple, qui unissait la paire de boeufs et les différents types de houes. La bêche, mal adaptée aux sols durs, semble inconnue.


Enfin la herse de bois, munie de petites dents de fer.



De tels outils permettent seulement d'égratigner la terre mais sont légers et susceptibles d'être transportés sur les terrasses difficiles d'accès. Ils sont les témoins de cette agriculture méditerranéenne pauvre, aux rendements faibles, aux fréquentes jachères. On ne cultivait pas de froment mais des céréales rustiques, seigles, épeautres. On trouve toujours ces graminées à l'état sauvage en se promenant dans l'île.

La presse à fromage, en marbre, permettait l'écoulement du petit lait et la fabrication de la féta locale, le mastelo..


On remarquera la croix simplement gravée sur la pierre : le matériel et le spirituel sont étroitement associés.

Le bât de l'âne renvoie à la nécessité de se déplacer de parcelle en parcelle; telle partie du terroir est favorable à la vigne ou aux oliviers, telle autre aux emblavures et les montagnes servent de pacage. Le paysan monté sur son âne porteur de couffins constitue une image traditionnelle qui n'a pas encore totalement disparu.


Les paniers de fabrication locale - la spécialité de Volax - permettaient de tout transporter à l'exception des liquides. Il en existe de toutes tailles ! Leur armature est en bois de gattilier, leur tissage en osier de Volax.


Pour stocker ou transporter les liquides ou produire des ruches on fait appel à la céramique, également très diverse et adaptée aux usages spécifiques, ainsi ces jarres de Marseille vernissées utilisées pour conserver l'huile d'olive. On trouve à Gastria, tout à côté de la mer d'où venait le combustible des fours de potier encore en place et une multitude de tessons !

Jarres de Marseille
Ruche traditionnelle
A ces objets paysans le musée associe des marbres architecturaux en provenance de la ville d'Exombourgo, l'ancienne capitale de l'île, et une collection d'appareils de projection issue de l'activité de catéchèse des Pères.
Surtout, on a conservé en place le moulin à olives de la communauté. Je lui consacrerai un article de ce blog.  

dimanche 6 janvier 2019

Georges Prévélakis "Qui sont les Grecs ?" - Fiche de lecture

Ce livre est paru en 2018 aux Editions du CNRS et m'a été adressé par une amie. Je l'ai lu avec le plus grand intérêt et je souhaite par ce post le faire partager à mes lecteurs.
Georges Prévélakis vit en France depuis 1984. Il est professeur à Paris l, géographe et spécialiste de la géopolitique des Balkans.


1 - Les Grecs, nation, civilisation ou iconographie ?
Il est difficile de définir une nation grecque : pour cet enchevêtrement de critères historiques, linguistiques, religieux et territoriaux la forme de la continuité nationale n'est pas suffisante.
Il est impossible d'appliquer les critères de l'Etat-nation dans les Balkans. Mais il existe une civilisation hellénique issue de l'Antiquité qui essaime en Occident notamment avec la Renaissance et en Orient avec le syncrétisme ottoman. La place de la langue est centrale dans le critère civilisationnel, mais le concept devient vite inopérant pour définir une nation grecque : on trouve des Grecs turcophones, des Grecs descendants de slavophones. La centralité de l'orthodoxie ne fonctionne pas davantage : présence de Grecs musulmans en Thrace et de catholiques dans les Cyclades.
Il faut abandonner les critères linguistiques, religieux ou territoriaux pour aborder d'autres éléments culturels : comme le chant, la danse, les coutumes, les traditions familiales...la gastronomie.
Néanmoins un Etat néo-hellénique est apparu en 1830, sur le modèle occidental. Il ne peut résumer à lui seul la civilisation hellénique.
L'auteur, fort de ce constat emprunte au géographe Jean Gottmann le concept d'iconographie qu'il considère apte à expliquer la réalité néo-hellénique dans le contexte de la post-modernité. L'iconographie englobe l'ensemble des références qui fédèrent un peuple et conduisent à la définition d'un territoire. Ces références s'adaptent à diverses échelles territoriales. Elles ne recouvrent pas que des symboles, mais aussi des expériences sensibles, genres de vie, codes de vie. Les diasporas transportent leurs iconographies d'origine et les transforment : l'iconographie est un concept plastique.

2 -  De Rum en Grec
La territorialité ottomane est différente de celle de l'Etat nation européen. L'Empire s'est substitué à Byzance mais a cherché surtout à contrôler les axes stratégiques, les villes et à collecter l'impôt, laissant aux habitants une large autonomie favorisée par la nature montagneuse des Balkans et de l'Anatolie. A cela se
superpose le système des millet, sortes d'enclaves juridiques dans l'Empire créées pour les non-musulmans et pilotées par les chefs religieux, patriarche, grand rabbin, investis de fonctions publiques par le sultan. Ajoutons de fréquents déplacements de populations et une mosaïque linguistique à l'échelle locale.
L'Europe au contraire entre à partir des traités de Westphalie (1648) dans un processus de création d'Etats-nations territoriaux et cette construction se trouve renforcée par la révolution française et par l'ethnocentrisme allemand.
Les deux systèmes entrent en collision au 19 e siècle. L'Empire ottoman qui a amorcé sa décadence au 17 e n'est plus alors en mesure de lutter économiquement et militairement contre les Occidentaux. Les tentatives d'occidentalisation, les Tanzimat, contribuent à la déconstruction du système impérial. La nouvelle Grèce prend la forme d'un Etat-nation occidental, en rupture avec sa tradition : elle entraîne l'Empire vers sa perte et sa décomposition en nouveaux Etats-nations.
L'Etat grec entreprend de couper le cordon ombilical avec l'Empire ottoman : par la création d'une église nationale, la promotion de la katharevoussa, l'appel récurrent aux lointaines racines antiques, néo-classicisme, par la centralisation économique, militaire, politique, culturelle avec la création d'iconographies nouvelles. Le tout assorti de prêts et subventions occidentales qui introduisent un partage de la rente entre les élites locales qui jouent des intérêts divergents des puissances : Grande-Bretagne, France, Russie.
Au début du 20e siècle tout cela atteint sa maturité et permet à la Grèce de Vénizelos d'engranger des succès : les guerres balkaniques et de 14-18 sont victorieuses. La Grèce est alors le phare de la modernisation de l'Orient.

3 -  Le miracle économique en panne
La crise de 2010 révèle les faiblesses du modèle : alors que trois pays mis sous la surveillance de la troïka (Portugal, Irlande, Espagne) sortent de ce cadre en 2014 la Grèce reste sous tutelle. Elle conserve les traits d'un pays post-ottoman : défiance envers l'Etat prédateur, difficulté à investir à long terme dans le contexte d'insécurité de cet Empire, recherche de la rente occidentale. Cette rente est géostratégique, la Grèce commandant l'entrée de la mer Noire et par la Crète une partie du Moyen-Orient. Elle est aussi culturelle, appuyée sur l'iconographie occidentale. Lorsque la Grèce perçoit la rente, elle entre en crise.
Depuis 1981 et surtout entre 2001 et 2005 le pays entré dans l'UE puis dans l'Eurozone a touché une rente considérable qui a déconstruit une économie sagement bâtie durant les 30 glorieuses entraînant des dysfonctionnements majeurs, salaires démesurés des fonctionnaires, pensions très généreuses, corruption, clientélisme, voire systèmes mafieux au niveau des partis politiques.
En servant la rente l'Europe a nui à la Grèce sans le vouloir. Par inattention, par une confiance abusive attribuée à des politiciens avides, pères de la dégénérescence politique actuelle. L'Europe a ignoré les traits post-ottomans de la Grèce. Attention, la Roumanie, la Bulgarie sont dans l'UE, la Serbie et l'Albanie souhaitent la rejoindre.

4 -  les Grecs dans le monde post-westphalien
Quelle pourrait-être la place de la Grèce dans un monde post-national et multipolaire dans le cadre d'une crise profonde de la modernité occidentale ?
La civilisation hellénique, située à la  porte de l'Orient, a toujours dialogué avec d'autres civilisations. Pour nuancer son caractère occidental, l'Europe a besoin des atouts de la Grèce.
Sachant que sa situation géo-stratégique peut se révéler être un piège générateur de rente facile mais destructrice, le pays pourrait se tourner vers une agriculture de qualité, développer son tourisme, ses ports qui communiquent avec l'Europe centrale et enfin mettre en valeur un hub intellectuel accueillant les étudiants d'autres cultures.
La famille solidaire reste une valeur sûre, comme la langue grecque, langue d'une grande civilisation. Les nouvelles diasporas, américaine, australienne, allemande, sud-africaine permettent le dépassement de l'Etat-nation et ouvrent à la culture-monde, tandis que les territoires s'ouvrent, comme par exemple Thessalonique ville pionnière qui réhabilite son passé séfarade.
Le néo-hellénisme se projette dans le monde entier grâce à la puissante marine marchande et à son savoir faire ancestral, grâce aussi au patriarcat oecuménique orthodoxe et à son soft power discret et efficace. Enfin, les migrations actuelles viennent répondre au problème démographique européen. Elles passent par la Grèce qui peut devenir un laboratoire : le résidu civilisationnel hellénique, si plastique, aura peut-être l'occasion de proposer des réponses nouvelles au vieux continent pavé d'Etats-nations.


Je pense que les deux premiers chapitres du livre sont pleins de vérité : il semble bien difficile de faire naître un Etat-nation moderne à partir de la matrice ottomane ! Un auteur comme Edmond About ne voit dans la Grèce du 19 e siècle qu'un pays de brigands et de prédateurs. Il fonde sur des manifestations post-ottomanes sa détestation des Grecs...Mais avant la Grande Catastrophe de 1922, qui vit l'hellénisme chassé d'Anatolie, Vénizélos avait réussi à fonder un Etat moderne mais encore incomplet.
Cet échec de la Grèce à rassembler tous les Grecs partageant tant soit peu la même iconographie me semble participer à la méfiance vis à vis de l'Etat. Cet Etat n'a pas rempli la mission que la nation lui avait confiée, renouer par delà les siècles avec l'Empire byzantin. 
Ajoutons que la Grèce est longtemps restée un pays sous la tutelle de ses libérateurs Français, Anglais et Russes, qui ont imposé puis soutenu des monarques étrangers, Bavarois puis Danois. En 1944, le peuple grec ne voulait plus de monarchie : les Anglais la lui ont imposée par les armes, provoquant une sanglante guerre civile dont toutes les traces ne sont pas effacées maintenant. Pour de nombreux Grecs, le contact avec l'Etat doit être évité : l'Etat est une source de maux.

Sans doute, l'UE a péché par inattention envers la Grèce. Je me souviens de l'année 2004, celle des Jeux olympiques d'Athènes comme d'une année de folie. De grands travaux partout, des milliards d'Euros qui représentaient je crois 20 % de la dette du pays en 2010. 
Mais je pense que la violence sociale qui s'est déchaînée à compter de 2012  -  l'Europe a alors dépecé son partenaire aux abois - sur le peuple grec, isolé, vilipendé, ruiné, garrotté, est aussi responsable de la dégénérescence de a classe politique et du nihilisme de nombreux citoyens qui ne voient plus d'issue dans le cadre non-démocratique de l'UE. La trahison d'Alexis Tsipras à l'été 2015 a porté le dernier coup à l'espérance politique et au crédit de l'Etat. M. Prévélakis, vous êtes optimiste ! Le peuple grec est "sonné", seules les élites mondialisées me semblent pouvoir porter au loin le message du néo-hellénisme tel qu'il est défini plus haut.

Enfin je ne suis pas en accord avec l'auteur lorsqu'il accorde sa confiance dans la marine marchande et dans l'Eglise orthodoxe.
L'Eglise, par son conservatisme, interdit toute liberté d'esprit et conforte la tradition, celle qu'on traîne comme un boulet. Quant aux armateurs, s'ils sont capables comme les Goulandris l'ont fait à Andros, de participer au développement local, ils sont capables aussi de déménager de Grèce laissant et à Athènes et au Pirée 20 000 familles dans la détresse. Cette activité est totalement cosmopolite et peut être déplacée ... à Singapour ! Ils l'ont dit ! Ils paient de fait à L'Etat l'impôt qu'ils souhaitent payer, un peu à la manière dont le clergé de France, avant la Révolution, payait au roi un "don gratuit" !
Et pour conclure, mais vous l'avez compris, il faut lire ce livre dans le contexte assumé de la mondialisation.

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