Subsistent les robustes vestiges d'un temps pas si éloigné. Des paysages, des constructions, des chemins.
Les sentiers muletiers
A Tinos comme souvent en Europe du sud (Espagne ou Italie méridionale), les paysans habitent de gros villages établis sur une source abondante et se déplacent pour cultiver leurs jardins, champs, vignobles, oliveraies, souvent dispersés sur de différents terroirs. Pas de fermes isolées comme en Europe du Nord, tout au plus des "katikies", maisons des champs où l'on peut dormir durant les moissons et les gros travaux. D'où l'importance et le nombre des sentiers muletiers qui mettent les villages en relation et permettent d'atteindre les plus modestes parcelles. Les plus importants sont dallés, larges de 5 m, comme le chemin vénitien allant de San Niccolo (actuellement Tinos, la petite capitale de l'île, à la forteresse vénitienne d'Exombourgo); les plus modestes, étroits, calculés pour le passage d'un animal de bât, sont dallés sur les terres meubles, taillés dans le rocher et présentent des escaliers rustiques pour franchir les pentes et fournir aux ânes un appui sûr. Ces chemins sont toujours bordés de murs de pierre sèche qui interdisent la divagation des animaux.
Depuis quelques années, certains chemins ont été restaurés et balisés pour les randonneurs.
Les terrasses
Tinos est une montagne, un rocher dans la mer Egée : 30 Km de longueur sur 10 de largeur, mais près de 800 m d'altitude au mont Tsiknias ! C'est dire que les pentes sont raides. Pour mettre la montagne en culture, il a fallu aménager des terrasses, transformer les garrigues en pyramides à degrés sur des kilomètres carrés et obtenir des bandes plus ou moins larges de terre aplanie sur lesquelles étaient cultivées les céréales, les oliviers, les vignes. Travail énorme que les générations paysannes ont entrepris et que Cornélius Castoriadis a magnifié en écrivant que "Tinos est une île faite à la main". Travail de Sisyphe, jamais terminé, puis qu'après les orages il faut remonter les terres éboulées, consolider les murs de soutènement construits en pierre sèche et bourrage de cailloux, avec quelques grosses pièces bien engagées dans le terrain pour la solidité de l'ensemble. Les terrasses sculptent les flancs de Pateles jusqu'à 600 m d'altitude. Au dessus, c'est le domaine des troupeaux de moutons et de chèvres.
Les étables
Pour les bêtes, on a construit des abris munis d'abreuvoirs et parfois d'un enclos; ce sont les "stavli". Les plus simples s'appuient sur une paroi rocheuse. On fait ainsi l'économie d'un mur. La plupart sont des constructions rectangulaires de pierre couvertes de dalles de micaschiste. Les murs s'évasent vers le sommet pour les recevoir; pour l'étanchéité, on pose sur ces dalles une couche de terre argileuse. Dans certaines zones, comme à Falatados ou Volax, les "stavli" ronds sont construits autour d'un pilier central à large chapiteau. Les dalles de couverture qui prennent leurs appuis sur le pilier et sur les murs goutterots sont disposées comme les pétales d'une marguerite. Certaines étables pouvaient accueillir des hommes pendant la période des gros travaux des champs, lorsqu'en témoigne la présence d'une cheminée.
Les fontaines
Tinos est relativement riche en eau pour une île méditerranéenne, et le fait explique son ancienne prospérité agricole. Les fontaines des villages sont toujours décorées et consacrées à une saint ou à la Vierge "zoodochos pigi", source de vie; elles servent à l'alimentation en eau des familles et au lavage du linge. A la campagne, elle sont situées près des jardins et associées à de savants aménagements hydrauliques : conduits, aqueducs, bassins de stockage. Tout est conçu pour éviter le gaspillage du précieux liquide.
En Grèce du sud, on dépique le grain en le faisant fouler par les animaux, le plus souvent par les ânes ou les mulets, plus rarement par les boeufs. Cette opération se déroule dans les aires à battre, "alonia" en grec. Ce sont des cercles soigneusement dallés et fermés par de hautes lauzes placées debout. Après le passage des animaux les paysans soulèvent grains, pailles et sons à la fourche et le vent se charge de disperser les parties légères. Seuls les grains tombent sur le sol de l'"aloni".
Les pigeonniers
Les pigeonniers "peristériones" sont emblématiques de l'île : nulle part ailleurs dans les Cyclades on en rencontre un tel nombre. Ils répondent à deux besoins:
- la fumure des jardins; traditionnellement, il y a peu de bovins, donc peu de fumier. On le remplace par la colombine, excellent engrais. Mais il faut pour en disposer construire un pigeonnier. Accessoirement, on mange les jeunes pigeons;
- la recherche de la considération sociale; pendant la période latine, du 13e au début du 18e siècle, le droit de pigeonnier, importé d'Occident, était conféré aux seuls nobles devant le service armé à la forteresse d'Exombourgo, issus de familles italiennes, catalanes, albanaises, françaises aussi. La conquête ottomane, en 1715, abolit ce privilège et chacun put construire des pigeonniers. D'où leur prolifération.
Les pigeonniers sont associés aux zones humides et aux jardins. Ils sont fréquemment décorés : triangles, rosaces, losanges.
Les moulins
Comme dans toute la zone égéenne, on rencontre des moulins à vent perchés sur les collines et souvent groupés. On profite ainsi d'une des ressources de l'île, le vent du nord qui souffle couramment à 6 ou 7 Beaufort. Les ailes des moulins étaient équipées de voiles et un renvoi d'angle muni d' d'engrenages à lanterne de bois dur transformait le mouvement horizontal en mouvement vertical propre à entraîner les meules en pierre de Santorin ou de Milos, des îles volcaniques.
Plus étonnante est la présence de moulins à eau ! Comme partout en Europe du sud ils présentent un axe vertical et des roues à cuillers. Le canal d'amenée débouche sur un bassin de stockage fermé par une vanne de pierre dont la manoeuvre ouvre un conduit de chute, toujours en pierre, de 4 à 5 m de hauteur. On travaille donc avec la force du courant, comme dans les modernes roues Pelton.
Les katikies
Les"katikies", littéralement les maisons basses, se rattachent un peu aux "stavli" dans la mesure où ce sont des résidences humaines temporaires, éloignées des villages et proches des champs. Elles sont néanmoins remarquablement construites et dans la région de Pyrgos, ou Exoméria, on leur associe volontiers les instruments de production du vin et du marc de raisin, le "patitiri" ou pressoir par foulage et le "rakizio", bassin destiné à servir de réfrigérant à l'alambic familial qui produit l'eau-de-vie, le "raki".
Les chapelles
Catholiques ou orthodoxes, elles accompagnent fréquemment les pigeonniers, les aires à battre et les étables. Ici, le matériel et le spirituel ne sont pas séparés et il convient de remercier Dieu de ses bienfaits. Les chapelles sont modestes, construites comme les étables, mais toujours entretenues et soignées. Très peu sont abandonnées. Les chapelles catholiques se situent dans le centre de l'île. Toutes sont ornées d'un tableau d'autel représentant le saint auquel elles sont consacrées, dans la pure tradition de l'Italie. Les chapelles orthodoxes sont plus complexes et plus décorées : iconostase, fresque de la Vierge à l'enfant dans l'abside, miséricordes et icônes naïves qui rappellent elles-aussi les ex-voto napolitains.
Moulin à eau près de Lychnaftia |
Pigeonniers et chapelles à Potamia |
Les terrasses |
Intérieur d'une katikia près de Pyrgos |
La roue à axe vertical du moulin de Lychnaftia |
Une chapelle orthodoxe |
Une chapelle catholique |
Une étable à pilier central |
Une chapelle près de Moussoulou |
Une aire à battre près de Pyrgos |
Un chemin dallé près de Ktikados |
La fontaine néo-classique du village d'Arnados |
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