Affichage des articles dont le libellé est romantisme. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est romantisme. Afficher tous les articles

mercredi 6 janvier 2021

Excursions historiques dans les îles de Tinos et d'Andros en 1841

 Je découvre dans les collections numérisées de la Bibliothèque nationale de France un récit de voyage à Tinos et Andros rédigé pour la déclinaison belge de la Revue de Paris en 1841 par Jean-Alexandre Buchon (1791 - 1846), historien et philologue, éphémère inspecteur des archives royales sous Charles X. Ce philhellène libéral publie notamment en 1843 La Grèce les Cyclades et les îles ioniennes, de nombreuses contributions à l'histoire de la Grèce sous la domination latine, des réflexions sur l'art et les institutions grecques dans l'Antiquité.


Jean-Alexandre Buchon

Je me permets de reproduire certains passages et de les commenter. Ah j'oubliais : bonne année 2021 à tous mes lecteurs, une année qui j'espère nous débarrassera tous de la Covid 19 ...


Navigation

 Une autre fois, j'avais accepté une invitation à dé-
jeuner dans l'île de Tinos. Le vent était des plus favorables au
moment de mon départ de Syra. Je voyais le port distinctement
devant moi. Deux heures suffisaient pour m'y rendre ; le vent
tourna à la sortie de la rade de Syra, et je m'estimai fort bien
traité de pouvoir arriver à Tinos à six heures du soir.
J'ai visité plusieurs fois cette île de Tinos , et j'ai souvent re-
gretté que l'établissement d'un bateau à vapeur à Syra ne rendit
pas cette courte traversée plus certaine. Dans les premiers jour)
d'avril, le prince Constantin Caradza, son neveu Manuel
Argyropoulo et moi nous nous étions mis en route pour passer,
dans une visite à l'Archipel, quelques jours que nous enlevions
à un voyage arrêté pour Constanlinople. Notre ami le navarque
Canaris nous avait prêté une excellente canonnière pour notre
excursion. Nous nous dirigions sur Délos. Nous nous trouvâmes
heureux de pouvoir nous réfugier dans la petite cale de Stavros
à Tinos, à une demi-lieue de la ville de Saint-Nicolas, et nous
fûmes retenus trois jours dans cette petite crique sans pouvoir
nous remettre en mer. C'était là une bonne occasion de faire
des excursions dans l'intérieur de l'Ile, et je n'y manquai pas.

Et le vorias joue toujours des tours aux marins et les oblige encore à s'ancrer à Stavros de nos jours !!


Saint-Nicolas (Chora actuelle) - La Panagia

L'île de Tinos est certainement une des îles de l'Archipel où se
sont conservées le plus de traces de la domination et des moeurs
et usages des Occidentaux. Conquise, comme les autres Cy-
clades, dès les premières années du treizième siècle, et de-
venue, sous les ducs de la Dodécanèse ou de la mer Egée, ou
de Naxos, issus de la famille vénitienne Sanudo, puis de la fa-
mille Crispo , partie de ce grand fief ducal qui relevait de la
principauté française de Morée, elle passa , après l'extinction
de la postérité des Villehardouin , et après la conquête par les
Turcs des divers fiefs continentaux ou insulaires qui en dépen-
daient, sous la domination souveraine de Venise patrie de ces
ducs, et resta, jusqu'en 1715 , dans les mains des Vénitiens.

Je remontai de là à la célèbre église moderne de la Panagia de 
l'Apparition, située au-dessus de Saint-Nicolas. Elle n'est bâtie 
que depuis une vingtaine d'années et voici à quelle occasion.
En juillet 1822, une vieille religieuse crut voir, en dormant
un bel ange aux longs cheveux bouclés , qui la prenait
par la main, et la conduisait dans une caverne mystérieuse
creusée dans le flanc de la colline de Tinos , où avait existé au-
trefois une vieille chapelle dont le souvenir s'était traditionnel-
lement conservé. Là, il lui montra du doigt une antique image
de la Panagia, qu'elle s'imagina voir illuminée d'un éclat tout
céleste. A son réveil, elle alla raconter ce rêve à un papas,
dont l'église, un peu abandonnée, avait besoin d'un miracle
pour se refaire. Le papas ne manqua pas de se rendre, suivi
d'un nombreux cortège, à cette grotte, bien connue de lui. On
fit une fouille au lieu désigné , et on trouva en terre, comme
cela se fait d'ordinaire, un tableau de la Vierge, fort mal peint,
mais assez bien conservé, dans sa laideur, que s'il eût été peint
de la veille, d'après le poncif reçu, et par l'hagiographe du
village. Le miracle fut tout aussitôt proclamé avec la solennité
la mieux entendue; et l'icône de la Panagia de l'Apparition
éveilla promptement le zèle des fidèles...
Telle qu'elle est. l'église de la Panagia de Tinos est une des
curiosités de l'Archipel. Tous les ans au 25 mars , jour de l'An-
nonciation , et au 15 août, jour de l'Assomption, des troupes
de pèlerins, au nombre de trois, de quatre, de cinq mille, arri-
vent de toutes les îles et de toutes les côtes d'Asie pour contempler
les cures merveilleuses qui ne manquent jamais de s'y opérer et
y apporter un tribut substantiel de leur vénération. 

L'intérieur des maisons de Saint-Nicolas est abondamment
fourni aussi de vieux bahuts, de glaces de Venise, de
lits, chaises et fauteuils sculptés et armoriés, d'étoffes en guipure
qui auraient fait envie à MM. Revoil et du Sommerard, et qui
gisent là obscurs et négligés dans une chambre de paysan...

A la Vierge de l'Apparition, on préfèrera la Vierge de l'Annonciation ( Evangelistria, en grec.) Abstraction est faite des Ghizzi, véritables seigneurs latins de Tinos pendant presque deux siècles, du treizième jusqu'à la fin du quatorzième. On ne peut que pointer ici l'esprit voltairien de l'auteur, qui affiche envers la nonne Pélagie et l'icône miraculeuse un scepticisme un peu condescendant et persifle le merveilleux orthodoxe. Mais les Latins ne tiennent plus le haut du pavé dans la Grèce moderne dont l'Orthodoxie est la religion d'un Etat indépendant depuis 1829. 

En chemin vers Exombourgo

Au temps des Vénitiens, la ville principale de l'île n'était pas
Saint-Nicolas, mais Exobourgo, située en haut d'une montagne
à une lieue environ de la côte. La route qui y conduit de Saint-
Nicolas suit, toujours en remontant, le lit d'un torrent qui
s'est creusé un passage à travers les rochers, et passe près d'une
enceinte antique. Nos mules avaient grand' peine à se tenir sur
ces pentes glissantes. La campagne est sans arbres; de temps à
autre seulement la vue est distraite par une sorte de tourelles
carrées à pointes, revêtues de toutes sortes d'arabesques fan-
tastiques; ce sont des péristerionias, très multi-
pliés.dans toute l'île. Une des branches du commerce de Tinos
est l'exportation en tonneaux de tourterelles confites dans le
vinaigre, et ces péristérionia sont destinés à la reproduction des
tourterelles, fort jolies à voir, mais fort détestables à manger
ainsi.
 Une autre branche plus productive 
du commerce de Tinos est le vin doux de Malvoisie,
qu'on ne récolte plus à Malvoisie (Monembasie), mais seule-
ment à Tinos et à Santorin, où les plants auront sans doute été
transportés après l'occupation de Monembasie par les Turcs..
Ces plants sont clairsemés et peu élevés
L'orge vient à merveille à Tinos. En parcou-
rant celte île, le 2 et le 5 avril, je vis partout des champs d'orge
tout verdoyants et beaucoup plus avancés que dans l'Attique.

Vous avez reconnu les pigeonniers ! J'avais déjà entendu quelques témoignages sur les pigeons conservés dans le vinaigre, mais je ne l'avais lu nulle part. Notons au passage la mention du mur cyclopéen qui formait l'enceinte de la ville antique d'Exombourgo, la mention de la culture de l'orge, céréale pauvre destinée à nourrir les 21000 Tiniotes de l'époque et le mode traditionnel de culture de la vigne, sans échalas et toujours en usage.

Exombourgo - la maison des Jésuites

Le village d'Exoburgo est presque complètement abandonné
la seule maison un peu propre est la maison fort hospitalière
du médecin. Tout à côté viennent se terminer les murs en ruines
de l'ancienne forteresse vénitienne qui s'élevait sur la crête de
la montagne. Ses vieux murs et les pointes de rochers entre
lesquels elle était bâtie blanchissent encore de loin en mer. Elle
s'étendait du haut de la montagne au sommet le plus aigu du
rocher. Les murs d'enceinte suivent la crête de rochers moins
élevés et au milieu pointe un rocher plus aigu surmonté d'un pyrgos
Du haut de ce pyrgos on a une vue fort nette sur toutes les Cyclades.
et l'oeil suit avec effroi la pente unie et perpendiculaire du rocher
 jusqu'à un puits qui était alors enclos dans l'enceinte des fortifications,
 bien qu'on eût à parcourir de longs circuits de rochers pour y parvenir.

Les jésuites ont conservé un établissement dans ce village.
Lorsque j'étais allé voir le beau couvent des jésuites de l'Oli-
vella, à Palerme, je leur avais promis d'aller visiter un des
leurs qu'ils venaient d'envoyer au couvent de Tinos. Je m'y
présentai en effet pour demander de ses nouvelles et lui donner
des nouvelles de ses amis de Palerme. A mon grand regret,
j'appris qu'il était en tournée dans une autre île de l'Archipel...
 A sa place je ne trouvai qu'un vieux jésuite polonais qui
nous reçut tous fort mal. Il avait horreur des Grecs, parce qu'ils
étaient schismatiques, ce qui était pis, à ses yeux, que d'être
hérétique et même musulman, el il n'avait pas moins horreur
des Français, qu'il regardait comme autant de francs-maçons,
d'excommuniés , de philosophes , de jacobins , qualités qui se
confondaient dans son esprit peu régulièrement ordonné. Le
prince Constantin Caradza, Manuel Argyropoulo et moi nous
n'avions donc pour lui que des titres de réprobation, et il nous
l'expliqua fort passionnément en refusant de nous abriter dans
son couvent malgré la pluie battante. Il semblait dévoré d'une
rage fanatique. 

Exombourgo est devenu un lieu de désolation, qui abrite encore un vieux jésuite dont la santé mentale semble vaciller ! Sous peu, en 1844, les Jésuites de Tinos occuperont leur nouvelle maison de Loutra. Ici aussi c'est l'esprit voltairien de Buchon qui s'exprime. Après les Orthodoxes les Catholiques en prennent pour leur grade !
A la place de la croix qui se trouve au sommet du mamelon d'Exombourgo s'élevait une tour (pyrgos en grec). On la voit distinctement sur les estampes qui illustrent le livre de Tournefort, plus d'un siècle auparavant..

Kardiani - Isternia - Pyrgos

Je suivis le bord de la mer en passant au port de Stavr-
ros, pour me rendre par Kardiani à Port-Panormo. Jusqu'à
Kardiani la route est détestable. Ces rochers de marbre n'of-
frent aucun point de vue pittoresque, ni varié; mais dès qu'on
a traversé la carrière de marbre ... qui a fourni le marbre blanc
grisâtre employé dans le nouveau bâtiment de l'université
d'Athènes, et connu partout sous le nom de marbre de Tinos,
le charmant village de Kardiani vous apparaît gracieusement 
groupé sous le penchant de la montagne.
De tous côtés, sur les collines, sont semés ces péristérionia ou
colombiers si caractéristiques , qui ressemblent à de petites
tourelles crénelées.
Le village de Kardiani est construit d'une manière fort ori-
ginale. On monte en tournant sous le portiques de maisons,
qui ont l'air d'autant de chambres séparées, coupées dans la
carrière même, car elles sont composées de pierres sèches,
arrangées à mesure qu'elles encombraient le chemin , avec
plusieurs rangs de murailles, soutenues par des portes cintrées
pour plus de solidité. C'est toujours, en tournant sous des
voûtes et arcades, qu'on monte jusqu'au haut de la ville. Les
habitants de Kardiani ont sans doute choisi ce lieu élevé pour
y être plus à l'abri des incursions des pirates, qui pouvaient
débarquer sur la plage, située au bas de ce verdoyant coteau.

De là jusqu'à Platia , en passant par Kislena , il y a deux
bonnes heures de route assez difficile; mais la descente dans le
village de Platia est véritablement formidable. Les rues sont
des échelles inégales et à bâtons rompus. Il faut être bien ha-
bitué aux déplorables chemins de ce pays, et bien compter sur
la sûreté du pied des mulets pour s'aventurer à descendre
autrement qu'à pied ces escaliers perpendiculaires et mal as-
surés. Platia est un village assez malpropre, qui n'est éloigné
que d'une demi-heure de Port-Panormo, lieu d'embarcation,
où ne se trouve qu'une seule habitation à moitié ruinée. la
course de Platia à Port-Panormo est toute en plaine et très-
facile.

Autres temps, autres goûts ! La route superbe qui conduit à Kardiani n'offre aucun point de vue pittoresque à Buchon ! Il est vrai que le sentier muletier passe un peu plus bas, mais je l'ai emprunté et il offre un panorama semblable à celui de la route moderne. Et pourtant nous sommes alors en plein Romantisme ! En effet les villages perchés comme Kardiani fournissaient une protection contre les pirates qui infestaient l'Egée jusqu'au 18e siècle. Et vous avez reconnu les kamaras, ces rues villageoises où l'on passe sous les maisons et les églises. Il en subsiste encore à Kardiani et l'une d'elle passe sous le parvis de l'église catholique. 
Kislena est vraisemblablement Isternia.
Je pense que l'auteur confond le village de Platia et celui de Pyrgos. Eh oui, pas de route : on voyage à dos de mulet.

samedi 21 mars 2015

Tinos vue par Choiseul-Gouffier en 1781

Autre temps, autre sensibilité ! Le diplomate et antiquaire Marie-Gabriel de Choiseul-Gouffier (1752 -1817) visite la Grèce à la fin des années 1770. Son périple lui permet d'écrire Le Voyage pittoresque de la Grèce, dont le premier tome, richement illustré, parait en 1782. Le futur ambassadeur de Louis XVI à Constantinople y brosse le portrait d'un Grèce idéalisée, aspirant sous le joug ottoman à recouvrer sa liberté. Le comte de Choiseul-Gouffier, pré-romantique, jette un pont entre les Lumières et le philhellénisme des élites européennes des années 1820.


 Voici les textes et les estampes qu'il consacre à Tinos, tirés de Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF.

p. 44 et sq.

Les femmes de l’île de Tine ont toutes les plus belles proportions dans les formes, de la régularité dans les traits & une physionomie piquante qui supplée souvent à la beauté & y ajoute toujours. L’habillement le plus voluptueux couvre leurs charmes sans les cacher.
Le commerce et l’industrie répandent dans cette île une aisance générale et une sorte d’égalité qui, sans confondre les classes de citoyens, empêchent les uns de se corrompre et les autres de s’avilir. Les femmes que dans d’autres climats, leur richesse où leur naissance sembleraient autoriser à l’inutilité, ne dédaignent point de s’occuper des détails intéressants de leurs ménages et travaillent avec plaisir aux vêtements que leurs enfants doivent porter. Dès que la chaleur tombe et que le soleil sur son déclin peut encore éclairer leurs travaux sans pouvoir nuire à leurs charmes, elles sortent de leurs maisons, s’asseyent devant leurs portes, filent la soie ou la dévident ; d’autres la tricotent ou préparent les feuilles de mûrier, pendant que leur vieille mère fait des contes, souvent interrompus par les chansons des jeunes filles. Je crus alors pour la première fois que les tableaux délicieux que nous offrent les auteurs grecs étaient moins l’ouvrage de leur imagination qu’une fidèle imitation de la nature.
Le travail facile et peu pénible auquel sont employées les servantes de l’île de Tine leur permet de conserver tous leurs agréments. Elles n’ont d’autre occupation que filer la soie ou de nourrir les insectes qui la produisent. Aussi voit-on régner partout cette propreté qui fait tant plaisir au voyageur, parce qu’elle est un gage certain du bonheur du peuple et qu’elle suppose toujours la facilité à se procurer les premiers besoins. L’heureux citoyen de la Hollande annonce son opulence par la simplicité de son extérieur. Le sujet de l’Espagne & de l’Italie couvre sa misère de lambeaux dorés. Les habitants de Tine sont assez riches pour n’être pas réduits à désirer le paraître.


L’amour de la patrie conservé chez tous les Grecs insulaires a encore plus de force chez les habitants de l’île de Tine. Les servantes qui en sortent en grand nombre et qui sont connues dans tout le Levant par leur habillement, leur fidélité et leur intelligence, ne perdent jamais le désir de revoir leur patrie et de venir y jouir d’une aisance qu’elles doivent à leur industrie. Le patriotisme des Tiniotes a déjà été remarqué par M. Guys, que des connaissances étendues et un long séjour dans la Grèce ont mis à portée de donner un parallèle intéressant des Grecs anciens et des Grecs modernes.



Suivant Etienne le géographe, l’île de Ténos retint le nom de celui qui s’y installa le premier. Bochart au contraire veut qu’il dérive du mot phénicien Tannoth, serpent ou dragon. En effet tous les historiens s’accordent à dire que cette île était remplie de serpents ; elle prit même le nom d’Ophiussa et donna dans la Grèce à la vipère celui de Taenia. Ils étaient si abondants et si dangereux que les habitants auraient été obligés de l’abandonner si Neptune n’était venu à leur secours et ne les en eût délivrés. Ils lui élevèrent un temple magnifique, dans un bois, près de la ville de Ténos. Ce dieu y était honoré comme un grand médecin et l’on y célébrait des fêtes en son honneur. Ce temple avait des droits d’asile fort étendus, qui furent depuis réglés par Tibère, ainsi que ceux dont jouissaient tant de lieux de la Grèce.
Tine est de toutes les conquêtes des Vénitiens dans l’archipel celle dont ils on joui le plus longtemps. Ils ne l’ont perdue qu’en 1714, par la faiblesse du Provéditeur Bernardo Balbi, qui se rendit à la première sommation de l’amiral turc, quoi qu’il eût pu trouver dans la valeur de ses soldats & dans la bonne volonté des habitants un secours suffisant pour atteindre les secours que la République lui envoyait.
Cette île est une des plus riches et des plus agréables de toute la Grèce & son peu d’étendue est réparé par sa fertilité. Elle n’a que 12 lieues de circuit & près de 20 000 habitants y sont répartis dans 60 villages ou hameaux. Quoique l’île produise une grande quantité de soie elle ne suffit pas à leur industrie ; ils en tirent encore de celle d’Andros & en fabriquent des bas dont ils fournissent tout le Levant.


A une lieue et demi de San-Nicolo est l’ancienne citadelle construite par les Vénitiens. Elle est située sur une haute montagne d’où l’on découvre presque toute l’île. C’est un tableau délicieux où tout annonce l’industrie des habitants & où tout parait assurer leur bonheur. Aucun officier turc ne leur rappelle l’idée d’un maître, & gouvernés par des magistrats de leur choix, ils semblent n’obéir qu’à eux-mêmes. La vieillesse n’a point perdu tous ses droits dans la Grèce. Ces magistrats portent le nom de Vieillards, quoiqu’ils ne le soient pas toujours & le jeune homme est flatté de voir ajouter à la considération que donnent les dignités, la déférence que la nature réclame pour la vieillesse. Ces insulaires m’on paru heureux, éloigné du despote & ne s’apercevant de leur servitude qu’un seul jours dans l’année, il leur est presque permis de se croire libres.



Tinos est un paradis en cette fin de 18e siècle ! La fin de la domination vénitienne a en effet signifié, après les terreurs consécutives à la reddition d'Exombourgo, la fin de la piraterie turque, la fin du régime de l'exclusif qui unissait étroitement l'île à son ancienne métropole, la fin du régime féodal. Tous ces facteurs se sont conjugués pour favoriser l'industrie de la soie. Tinos s'est ouverte au commerce d'Orient comme au commerce d'Occident, enrichissant ses habitants, développant son port et son rôle d'escale entre Marseille et Smyrne. A cela s'ajoute l'éloignement du pouvoir ottoman : les Turcs se montrent une fois l'an pour percevoir l'impôt des infidèles, le karadj et les tributs dus aux grands personnages, laissant les Tiniotes s'administrer eux-mêmes, par leurs Vieillards.
L'île atteint alors une grande population et une grande richesse, 20 000 habitants, 60 villages, elle est plus imposée que sa grande voisine de Naxos !
N'oublions pas toutefois la tendance de l'auteur à idéaliser la Grèce.

Dans la petite ville de San Nicolo, aujourd'hui Chora, dont le port se résume à une plage protégée, on peut reconnaître quelques bâtiments toujours présents de nos jours. Sur la première estampe (vue du Couchant), on distingue sans peine la vieille église catholique de saint Nicolas et son haut clocher dont la flèche porte à ses quatre angles une fleur de lys, à sa droite l'église orthodoxe de la Panagia Malamaténia, enfin, tout à gauche et face à la mer les grandes arcades de l'actuel café Koursaros. La vue du Levant est prise depuis le cap qui porte maintenant le monument de l' Elli. Outre saint Nicolas, on découvre une autre église orthodoxe, peut être celle des Trois Hiérarques, et tout au fond, à Pallada, le bâtiment du lazaret (où était effectuée la quarantaine des marins suspects de peste) qui se dresse toujours face au site de l'actuel petit marché.


Articles les plus consultés