Depuis l'hiver 2018 la question macédonienne enflamme à nouveau l'opinion grecque et nous, Français ne comprenons pas grand chose à cet imbroglio issu des siècles passés, ravivé par le nationalisme de l'Etat grec aux 19 e et 20 e siècles et désormais compliqué par le jeu fourré des USA dans les Balkans.
La querelle actuelle remonte à la décomposition de la Yougoslavie et à la proclamation en 1991 à Skopjé d'une république indépendante de Macédoine prenant pour symbole national le soleil de Vergina, l'emblème d'Alexandre le Grand. En Grèce la réaction est violente : embargos, campagne pour empêcher la reconnaissance internationale du nouvel Etat, manifestations de masse. Au delà de la querelle sur le nom et les symboles - Alexandre le Grand appartient évidemment au patrimoine hellénique - les Grecs redoutent de voir Skopjé revendiquer des territoires en Macédoine égéenne, acquis lors des guerres balkaniques et partiellement peuplés de Slaves macédoniens.
Mais le conflit a des racines profondes. Comme la Grèce, la Bulgarie ou la Serbie, l'actuelle république de Macédoine est un territoire post-ottoman issu du partage de la province de Thessalonique où se côtoyaient tant bien que mal chrétiens orthodoxes et musulmans, Slaves, Albanais, Grecs, Valaques et Juifs, minorités installées souvent par la volonté des sultans. En 1912 - 1913 les armées bulgare, serbe et hellénique ont arraché ce territoire plongé dans la guerre civile (guerre des Komitadjis) à l'Empire ottoman puis l'ont partagé dans la douleur, Serbes et Grecs en recevant la meilleure part, la Macédoine égéenne et Thessalonique pour les Grecs, celle du Vardar avec la route reliant l'Egée à l'Europe centrale pour les Serbes et celle du Pirin, stérile et montagneuse pour les Bulgares. Ce partage, effectué dans le contexte d'Etats-nations de type moderne ("westphalien" pour Georges Prévélakis) a entraîné des politiques d'assimilation, de déplacement, d'appropriation culturelles et même de purification ethnique appliquées aux minorités linguistiques et religieuses par les Etats-nations. En Grèce, la langue slave a été proscrite, les patronymes hellénisés; les Macédoniens sont devenus des Serbes du sud pour Belgrade, les Albanais ont été traités en sujets de seconde zone par tous et les musulmans souvent chassés vers la Turquie. Durant la seconde guerre mondiale les Bulgares et les Albanais, alliés de l'Axe ont pris une cruelle revanche. Enfin, durant la guerre civile grecque et dans le contexte de la guerre froide, Tito et Dimitrov lancèrent l'idée d'une fédération balkanique regroupant les trois Macédoines, au grand scandale des Grecs...
Tout cela a laissé des traces dans la conscience douloureuse des peuples. Il est impossible de considérer les guerres de Yougoslavie de 1990 - 95 sans se référer à l'histoire : les cadavres dans le placard abondent ! Ces peuples voisins ne s'aiment pas. Ou au minimum nourrissent les uns envers les autres une lourde méfiance.
La géopolitique actuelle vient ajouter une couche de complexité qui fait peu de cas de l'histoire profonde.
La guerre de Syrie nous fait vivre un retournement des alliances dont les conséquences se font sentir dans les Balkans tout entiers : la Turquie d'Erdogan, membre de l'OTAN, se rapproche de la Russie dans un contexte d'avancée de l'influence occidentale en Ukraine, en Albanie, au Kosovo et en république de Macédoine. La quasi-défection des Turcs comme gardiens des détroits et comme opposants naturels à l'accès de la puissance russe en Méditerranée renforce de fait le rôle stratégique de la Grèce.
Alors que Russes et Grecs partagent une relation ancienne et de nombreuses valeurs, Alexis Tsipras choisit clairement son camp, celui de l'Occident :
- dans l'hiver 2018 il annonce son intention de normaliser les relations de la Grèce avec Skopjé, où les élections de décembre 2016 viennent de porter au pouvoir un pro-occidental, Zoran Zaev; Tsipras indique que son pays ne s'opposera plus à l'entrée de la Macédoine dans l'OTAN et dans l'Union européenne; des manifestations monstres sont organisées à Thessalonique et Athènes;
- en juin 2018 un accord est trouvé entre Tsipras et Zaev : La Skopia, comme disent les Grecs va s'appeller Macédoine du Nord;
- en juillet 2018 : sous prétexte d'ingérence, des diplomates russes sont expulsés de Grèce. Il s'agit clairement d'isoler la Russie dans les Balkans où elle ne peut plus compter que sur la Serbie;
- en janvier 2019 Tsipras fait approuver de justesse par le parlement les nouvelles relations qui unissent Grèce et Macédoine du Nord, au prix de la démission du ministre Kammenos.
Si l'on suit les idées de Georges Prévélakis qui voit dans la position géostratégique de son pays une source de rente étrangère, européenne et américaine, on peut penser qu'une nouvelle vague de népotisme et de corruption va nourrir les "élites" grecques. Je renvoie à la fiche de lecture de Qui sont les Grecs ?
On peut aussi s'étonner de la plasticité du Premier ministre Tsipras, soi disant de gauche radicale qui devient la marionnette de Trump et de Juncker, contre le sentiment de son peuple. Je ne prétends pas qu'il faille soutenir en tous points le nationalisme grec, je ne crois pas à une revendication de territoires par la Macédoine du Nord, mais je m'étonne de voir évoluer ainsi un dirigeant qui pouvait incarner un contre pouvoir en Europe orientale et préparer efficacement l'instauration de rapports meilleurs entre l'Europe et la Russie.
La querelle actuelle remonte à la décomposition de la Yougoslavie et à la proclamation en 1991 à Skopjé d'une république indépendante de Macédoine prenant pour symbole national le soleil de Vergina, l'emblème d'Alexandre le Grand. En Grèce la réaction est violente : embargos, campagne pour empêcher la reconnaissance internationale du nouvel Etat, manifestations de masse. Au delà de la querelle sur le nom et les symboles - Alexandre le Grand appartient évidemment au patrimoine hellénique - les Grecs redoutent de voir Skopjé revendiquer des territoires en Macédoine égéenne, acquis lors des guerres balkaniques et partiellement peuplés de Slaves macédoniens.
Mais le conflit a des racines profondes. Comme la Grèce, la Bulgarie ou la Serbie, l'actuelle république de Macédoine est un territoire post-ottoman issu du partage de la province de Thessalonique où se côtoyaient tant bien que mal chrétiens orthodoxes et musulmans, Slaves, Albanais, Grecs, Valaques et Juifs, minorités installées souvent par la volonté des sultans. En 1912 - 1913 les armées bulgare, serbe et hellénique ont arraché ce territoire plongé dans la guerre civile (guerre des Komitadjis) à l'Empire ottoman puis l'ont partagé dans la douleur, Serbes et Grecs en recevant la meilleure part, la Macédoine égéenne et Thessalonique pour les Grecs, celle du Vardar avec la route reliant l'Egée à l'Europe centrale pour les Serbes et celle du Pirin, stérile et montagneuse pour les Bulgares. Ce partage, effectué dans le contexte d'Etats-nations de type moderne ("westphalien" pour Georges Prévélakis) a entraîné des politiques d'assimilation, de déplacement, d'appropriation culturelles et même de purification ethnique appliquées aux minorités linguistiques et religieuses par les Etats-nations. En Grèce, la langue slave a été proscrite, les patronymes hellénisés; les Macédoniens sont devenus des Serbes du sud pour Belgrade, les Albanais ont été traités en sujets de seconde zone par tous et les musulmans souvent chassés vers la Turquie. Durant la seconde guerre mondiale les Bulgares et les Albanais, alliés de l'Axe ont pris une cruelle revanche. Enfin, durant la guerre civile grecque et dans le contexte de la guerre froide, Tito et Dimitrov lancèrent l'idée d'une fédération balkanique regroupant les trois Macédoines, au grand scandale des Grecs...
Tout cela a laissé des traces dans la conscience douloureuse des peuples. Il est impossible de considérer les guerres de Yougoslavie de 1990 - 95 sans se référer à l'histoire : les cadavres dans le placard abondent ! Ces peuples voisins ne s'aiment pas. Ou au minimum nourrissent les uns envers les autres une lourde méfiance.
La géopolitique actuelle vient ajouter une couche de complexité qui fait peu de cas de l'histoire profonde.
La guerre de Syrie nous fait vivre un retournement des alliances dont les conséquences se font sentir dans les Balkans tout entiers : la Turquie d'Erdogan, membre de l'OTAN, se rapproche de la Russie dans un contexte d'avancée de l'influence occidentale en Ukraine, en Albanie, au Kosovo et en république de Macédoine. La quasi-défection des Turcs comme gardiens des détroits et comme opposants naturels à l'accès de la puissance russe en Méditerranée renforce de fait le rôle stratégique de la Grèce.
Alors que Russes et Grecs partagent une relation ancienne et de nombreuses valeurs, Alexis Tsipras choisit clairement son camp, celui de l'Occident :
- dans l'hiver 2018 il annonce son intention de normaliser les relations de la Grèce avec Skopjé, où les élections de décembre 2016 viennent de porter au pouvoir un pro-occidental, Zoran Zaev; Tsipras indique que son pays ne s'opposera plus à l'entrée de la Macédoine dans l'OTAN et dans l'Union européenne; des manifestations monstres sont organisées à Thessalonique et Athènes;
- en juin 2018 un accord est trouvé entre Tsipras et Zaev : La Skopia, comme disent les Grecs va s'appeller Macédoine du Nord;
- en juillet 2018 : sous prétexte d'ingérence, des diplomates russes sont expulsés de Grèce. Il s'agit clairement d'isoler la Russie dans les Balkans où elle ne peut plus compter que sur la Serbie;
- en janvier 2019 Tsipras fait approuver de justesse par le parlement les nouvelles relations qui unissent Grèce et Macédoine du Nord, au prix de la démission du ministre Kammenos.
Si l'on suit les idées de Georges Prévélakis qui voit dans la position géostratégique de son pays une source de rente étrangère, européenne et américaine, on peut penser qu'une nouvelle vague de népotisme et de corruption va nourrir les "élites" grecques. Je renvoie à la fiche de lecture de Qui sont les Grecs ?
On peut aussi s'étonner de la plasticité du Premier ministre Tsipras, soi disant de gauche radicale qui devient la marionnette de Trump et de Juncker, contre le sentiment de son peuple. Je ne prétends pas qu'il faille soutenir en tous points le nationalisme grec, je ne crois pas à une revendication de territoires par la Macédoine du Nord, mais je m'étonne de voir évoluer ainsi un dirigeant qui pouvait incarner un contre pouvoir en Europe orientale et préparer efficacement l'instauration de rapports meilleurs entre l'Europe et la Russie.