dimanche 20 janvier 2019

L'imbroglio macédonien

Depuis l'hiver 2018 la question macédonienne enflamme à nouveau l'opinion grecque et nous, Français ne comprenons pas grand chose à cet imbroglio issu des siècles passés, ravivé par le nationalisme de l'Etat grec aux 19 e et 20 e siècles et désormais compliqué par le jeu fourré des USA dans les Balkans.




La querelle actuelle remonte à la décomposition de la Yougoslavie et à la proclamation en 1991 à Skopjé d'une république indépendante de Macédoine prenant pour symbole national le soleil de Vergina, l'emblème d'Alexandre le Grand. En Grèce la réaction est violente : embargos, campagne pour empêcher la reconnaissance internationale du nouvel Etat, manifestations de masse. Au delà de la querelle sur le nom et les symboles - Alexandre le Grand appartient évidemment au patrimoine hellénique - les Grecs redoutent de voir Skopjé revendiquer des territoires en Macédoine égéenne, acquis lors des guerres balkaniques et partiellement peuplés de Slaves macédoniens.

Mais le conflit a des racines profondes. Comme la Grèce, la Bulgarie ou la Serbie, l'actuelle république de Macédoine est un territoire post-ottoman issu du partage de la province de Thessalonique où se côtoyaient tant bien que mal chrétiens orthodoxes et musulmans, Slaves, Albanais, Grecs, Valaques et Juifs, minorités installées souvent par la volonté des sultans. En 1912 - 1913 les armées bulgare, serbe et hellénique ont arraché ce territoire plongé dans la guerre civile (guerre des Komitadjis) à l'Empire ottoman puis l'ont partagé dans la douleur, Serbes et Grecs en recevant la meilleure part, la Macédoine égéenne et Thessalonique pour les Grecs, celle du Vardar avec la route reliant l'Egée à l'Europe centrale pour les Serbes et celle du Pirin, stérile et montagneuse pour les Bulgares. Ce partage, effectué dans le contexte d'Etats-nations de type moderne ("westphalien" pour Georges Prévélakis) a entraîné des politiques d'assimilation, de déplacement, d'appropriation culturelles et même de purification ethnique appliquées aux minorités linguistiques et religieuses par les Etats-nations. En Grèce, la langue slave a été proscrite, les patronymes hellénisés; les Macédoniens sont devenus des Serbes du sud pour Belgrade, les Albanais ont été traités en sujets de seconde zone par tous et les musulmans souvent chassés vers la Turquie. Durant la seconde guerre mondiale les Bulgares et les Albanais, alliés de l'Axe ont pris une cruelle revanche. Enfin, durant la guerre civile grecque et dans le contexte de la guerre froide, Tito et Dimitrov lancèrent l'idée d'une fédération balkanique regroupant les trois Macédoines, au grand scandale des Grecs...
Tout cela a laissé des traces dans la conscience douloureuse des peuples. Il est impossible de considérer les guerres de Yougoslavie de 1990 - 95 sans se référer à l'histoire : les cadavres dans le placard abondent ! Ces peuples voisins ne s'aiment pas. Ou au minimum nourrissent les uns envers les autres une lourde méfiance.

La géopolitique actuelle vient ajouter une couche de complexité qui fait peu de cas de l'histoire profonde.
La guerre de Syrie nous fait vivre un retournement des alliances dont les conséquences se font sentir dans les Balkans tout entiers : la Turquie d'Erdogan, membre de l'OTAN, se rapproche de la Russie dans un contexte d'avancée de l'influence occidentale en Ukraine, en Albanie, au Kosovo et en république de Macédoine. La quasi-défection des Turcs comme gardiens des détroits et comme opposants naturels à l'accès de la puissance russe en Méditerranée renforce de fait le rôle stratégique de la Grèce.
Alors que Russes et Grecs partagent une relation ancienne et de nombreuses valeurs, Alexis Tsipras choisit clairement son camp, celui de l'Occident :
- dans l'hiver 2018 il annonce son intention de normaliser les relations de la Grèce avec Skopjé, où les élections de décembre 2016 viennent de porter au pouvoir un pro-occidental, Zoran Zaev; Tsipras indique que son pays ne s'opposera plus à l'entrée de la Macédoine dans l'OTAN et dans l'Union européenne; des manifestations monstres sont organisées à Thessalonique et Athènes;
- en juin 2018 un accord est trouvé entre Tsipras et Zaev : La Skopia, comme disent les Grecs va s'appeller Macédoine du Nord;
- en juillet 2018 : sous prétexte d'ingérence, des diplomates russes sont expulsés de Grèce. Il s'agit clairement d'isoler la Russie dans les Balkans où elle ne peut plus compter que sur la Serbie;
- en janvier 2019 Tsipras fait approuver de justesse par le parlement les nouvelles relations qui unissent Grèce et Macédoine du Nord, au prix de la démission du ministre Kammenos.

Si l'on suit les idées de Georges Prévélakis qui voit dans la position géostratégique de son pays une source de rente étrangère, européenne et américaine, on peut penser qu'une nouvelle vague de népotisme et de corruption va nourrir les "élites" grecques. Je renvoie à la fiche de lecture de Qui sont les Grecs ?
On peut aussi s'étonner de la plasticité du Premier ministre Tsipras, soi disant de gauche radicale qui devient la marionnette de Trump et de Juncker, contre le sentiment de son peuple. Je ne prétends pas qu'il faille soutenir en tous points le nationalisme grec, je ne crois pas à une revendication de territoires par la Macédoine du Nord, mais je m'étonne de voir évoluer ainsi un dirigeant qui pouvait incarner un contre pouvoir en Europe orientale et préparer efficacement l'instauration de rapports meilleurs entre l'Europe et la Russie.


mercredi 9 janvier 2019

A propos de quelques objets conservés au musée d'art populaire de Loutra

En 1840 les Jésuites de Tinos abandonnèrent leur maison d'Exombourgo pour s'installer à Loutra. Leur nouveau monastère, où ne réside plus aujourd'hui qu'un seul Père, comprend un vaste enclos nourricier, une église, un ensemble de 15 chambres, une vaste cuisine, un salon de réception, une bibliothèque et un atelier dans lequel étaient préparés les produits agricoles destinés aux besoins de la communauté, qui comme tout le monde à Tinos, vivait dans une quasi autarcie.
C'est dans cet atelier que les Jésuites ont rassemblé autour d'un moulin à olives et d'un pressoir, de nombreux objets qui témoignent du travail et de la vie quotidienne des Tiniotes. On ne peut que saluer leur souci de préservation et de mise à la disposition du public du patrimoine paysan.

Les outils du laboureur

On trouve à Tinos deux types d'araires, une grande, destinée au travail des champs et une petite adaptée au travail des jardins. Toutes deux sont construites en bois dur et sont équipées d'un soc amovible, susceptible de passer à la forge; beaucoup de bois et peu de métal, produit cher venu de loin !


Debout contre le pilier on remarque le joug, très simple, qui unissait la paire de boeufs et les différents types de houes. La bêche, mal adaptée aux sols durs, semble inconnue.


Enfin la herse de bois, munie de petites dents de fer.



De tels outils permettent seulement d'égratigner la terre mais sont légers et susceptibles d'être transportés sur les terrasses difficiles d'accès. Ils sont les témoins de cette agriculture méditerranéenne pauvre, aux rendements faibles, aux fréquentes jachères. On ne cultivait pas de froment mais des céréales rustiques, seigles, épeautres. On trouve toujours ces graminées à l'état sauvage en se promenant dans l'île.

La presse à fromage, en marbre, permettait l'écoulement du petit lait et la fabrication de la féta locale, le mastelo..


On remarquera la croix simplement gravée sur la pierre : le matériel et le spirituel sont étroitement associés.

Le bât de l'âne renvoie à la nécessité de se déplacer de parcelle en parcelle; telle partie du terroir est favorable à la vigne ou aux oliviers, telle autre aux emblavures et les montagnes servent de pacage. Le paysan monté sur son âne porteur de couffins constitue une image traditionnelle qui n'a pas encore totalement disparu.


Les paniers de fabrication locale - la spécialité de Volax - permettaient de tout transporter à l'exception des liquides. Il en existe de toutes tailles ! Leur armature est en bois de gattilier, leur tissage en osier de Volax.


Pour stocker ou transporter les liquides ou produire des ruches on fait appel à la céramique, également très diverse et adaptée aux usages spécifiques, ainsi ces jarres de Marseille vernissées utilisées pour conserver l'huile d'olive. On trouve à Gastria, tout à côté de la mer d'où venait le combustible des fours de potier encore en place et une multitude de tessons !

Jarres de Marseille
Ruche traditionnelle
A ces objets paysans le musée associe des marbres architecturaux en provenance de la ville d'Exombourgo, l'ancienne capitale de l'île, et une collection d'appareils de projection issue de l'activité de catéchèse des Pères.
Surtout, on a conservé en place le moulin à olives de la communauté. Je lui consacrerai un article de ce blog.  

dimanche 6 janvier 2019

Georges Prévélakis "Qui sont les Grecs ?" - Fiche de lecture

Ce livre est paru en 2018 aux Editions du CNRS et m'a été adressé par une amie. Je l'ai lu avec le plus grand intérêt et je souhaite par ce post le faire partager à mes lecteurs.
Georges Prévélakis vit en France depuis 1984. Il est professeur à Paris l, géographe et spécialiste de la géopolitique des Balkans.


1 - Les Grecs, nation, civilisation ou iconographie ?
Il est difficile de définir une nation grecque : pour cet enchevêtrement de critères historiques, linguistiques, religieux et territoriaux la forme de la continuité nationale n'est pas suffisante.
Il est impossible d'appliquer les critères de l'Etat-nation dans les Balkans. Mais il existe une civilisation hellénique issue de l'Antiquité qui essaime en Occident notamment avec la Renaissance et en Orient avec le syncrétisme ottoman. La place de la langue est centrale dans le critère civilisationnel, mais le concept devient vite inopérant pour définir une nation grecque : on trouve des Grecs turcophones, des Grecs descendants de slavophones. La centralité de l'orthodoxie ne fonctionne pas davantage : présence de Grecs musulmans en Thrace et de catholiques dans les Cyclades.
Il faut abandonner les critères linguistiques, religieux ou territoriaux pour aborder d'autres éléments culturels : comme le chant, la danse, les coutumes, les traditions familiales...la gastronomie.
Néanmoins un Etat néo-hellénique est apparu en 1830, sur le modèle occidental. Il ne peut résumer à lui seul la civilisation hellénique.
L'auteur, fort de ce constat emprunte au géographe Jean Gottmann le concept d'iconographie qu'il considère apte à expliquer la réalité néo-hellénique dans le contexte de la post-modernité. L'iconographie englobe l'ensemble des références qui fédèrent un peuple et conduisent à la définition d'un territoire. Ces références s'adaptent à diverses échelles territoriales. Elles ne recouvrent pas que des symboles, mais aussi des expériences sensibles, genres de vie, codes de vie. Les diasporas transportent leurs iconographies d'origine et les transforment : l'iconographie est un concept plastique.

2 -  De Rum en Grec
La territorialité ottomane est différente de celle de l'Etat nation européen. L'Empire s'est substitué à Byzance mais a cherché surtout à contrôler les axes stratégiques, les villes et à collecter l'impôt, laissant aux habitants une large autonomie favorisée par la nature montagneuse des Balkans et de l'Anatolie. A cela se
superpose le système des millet, sortes d'enclaves juridiques dans l'Empire créées pour les non-musulmans et pilotées par les chefs religieux, patriarche, grand rabbin, investis de fonctions publiques par le sultan. Ajoutons de fréquents déplacements de populations et une mosaïque linguistique à l'échelle locale.
L'Europe au contraire entre à partir des traités de Westphalie (1648) dans un processus de création d'Etats-nations territoriaux et cette construction se trouve renforcée par la révolution française et par l'ethnocentrisme allemand.
Les deux systèmes entrent en collision au 19 e siècle. L'Empire ottoman qui a amorcé sa décadence au 17 e n'est plus alors en mesure de lutter économiquement et militairement contre les Occidentaux. Les tentatives d'occidentalisation, les Tanzimat, contribuent à la déconstruction du système impérial. La nouvelle Grèce prend la forme d'un Etat-nation occidental, en rupture avec sa tradition : elle entraîne l'Empire vers sa perte et sa décomposition en nouveaux Etats-nations.
L'Etat grec entreprend de couper le cordon ombilical avec l'Empire ottoman : par la création d'une église nationale, la promotion de la katharevoussa, l'appel récurrent aux lointaines racines antiques, néo-classicisme, par la centralisation économique, militaire, politique, culturelle avec la création d'iconographies nouvelles. Le tout assorti de prêts et subventions occidentales qui introduisent un partage de la rente entre les élites locales qui jouent des intérêts divergents des puissances : Grande-Bretagne, France, Russie.
Au début du 20e siècle tout cela atteint sa maturité et permet à la Grèce de Vénizelos d'engranger des succès : les guerres balkaniques et de 14-18 sont victorieuses. La Grèce est alors le phare de la modernisation de l'Orient.

3 -  Le miracle économique en panne
La crise de 2010 révèle les faiblesses du modèle : alors que trois pays mis sous la surveillance de la troïka (Portugal, Irlande, Espagne) sortent de ce cadre en 2014 la Grèce reste sous tutelle. Elle conserve les traits d'un pays post-ottoman : défiance envers l'Etat prédateur, difficulté à investir à long terme dans le contexte d'insécurité de cet Empire, recherche de la rente occidentale. Cette rente est géostratégique, la Grèce commandant l'entrée de la mer Noire et par la Crète une partie du Moyen-Orient. Elle est aussi culturelle, appuyée sur l'iconographie occidentale. Lorsque la Grèce perçoit la rente, elle entre en crise.
Depuis 1981 et surtout entre 2001 et 2005 le pays entré dans l'UE puis dans l'Eurozone a touché une rente considérable qui a déconstruit une économie sagement bâtie durant les 30 glorieuses entraînant des dysfonctionnements majeurs, salaires démesurés des fonctionnaires, pensions très généreuses, corruption, clientélisme, voire systèmes mafieux au niveau des partis politiques.
En servant la rente l'Europe a nui à la Grèce sans le vouloir. Par inattention, par une confiance abusive attribuée à des politiciens avides, pères de la dégénérescence politique actuelle. L'Europe a ignoré les traits post-ottomans de la Grèce. Attention, la Roumanie, la Bulgarie sont dans l'UE, la Serbie et l'Albanie souhaitent la rejoindre.

4 -  les Grecs dans le monde post-westphalien
Quelle pourrait-être la place de la Grèce dans un monde post-national et multipolaire dans le cadre d'une crise profonde de la modernité occidentale ?
La civilisation hellénique, située à la  porte de l'Orient, a toujours dialogué avec d'autres civilisations. Pour nuancer son caractère occidental, l'Europe a besoin des atouts de la Grèce.
Sachant que sa situation géo-stratégique peut se révéler être un piège générateur de rente facile mais destructrice, le pays pourrait se tourner vers une agriculture de qualité, développer son tourisme, ses ports qui communiquent avec l'Europe centrale et enfin mettre en valeur un hub intellectuel accueillant les étudiants d'autres cultures.
La famille solidaire reste une valeur sûre, comme la langue grecque, langue d'une grande civilisation. Les nouvelles diasporas, américaine, australienne, allemande, sud-africaine permettent le dépassement de l'Etat-nation et ouvrent à la culture-monde, tandis que les territoires s'ouvrent, comme par exemple Thessalonique ville pionnière qui réhabilite son passé séfarade.
Le néo-hellénisme se projette dans le monde entier grâce à la puissante marine marchande et à son savoir faire ancestral, grâce aussi au patriarcat oecuménique orthodoxe et à son soft power discret et efficace. Enfin, les migrations actuelles viennent répondre au problème démographique européen. Elles passent par la Grèce qui peut devenir un laboratoire : le résidu civilisationnel hellénique, si plastique, aura peut-être l'occasion de proposer des réponses nouvelles au vieux continent pavé d'Etats-nations.


Je pense que les deux premiers chapitres du livre sont pleins de vérité : il semble bien difficile de faire naître un Etat-nation moderne à partir de la matrice ottomane ! Un auteur comme Edmond About ne voit dans la Grèce du 19 e siècle qu'un pays de brigands et de prédateurs. Il fonde sur des manifestations post-ottomanes sa détestation des Grecs...Mais avant la Grande Catastrophe de 1922, qui vit l'hellénisme chassé d'Anatolie, Vénizélos avait réussi à fonder un Etat moderne mais encore incomplet.
Cet échec de la Grèce à rassembler tous les Grecs partageant tant soit peu la même iconographie me semble participer à la méfiance vis à vis de l'Etat. Cet Etat n'a pas rempli la mission que la nation lui avait confiée, renouer par delà les siècles avec l'Empire byzantin. 
Ajoutons que la Grèce est longtemps restée un pays sous la tutelle de ses libérateurs Français, Anglais et Russes, qui ont imposé puis soutenu des monarques étrangers, Bavarois puis Danois. En 1944, le peuple grec ne voulait plus de monarchie : les Anglais la lui ont imposée par les armes, provoquant une sanglante guerre civile dont toutes les traces ne sont pas effacées maintenant. Pour de nombreux Grecs, le contact avec l'Etat doit être évité : l'Etat est une source de maux.

Sans doute, l'UE a péché par inattention envers la Grèce. Je me souviens de l'année 2004, celle des Jeux olympiques d'Athènes comme d'une année de folie. De grands travaux partout, des milliards d'Euros qui représentaient je crois 20 % de la dette du pays en 2010. 
Mais je pense que la violence sociale qui s'est déchaînée à compter de 2012  -  l'Europe a alors dépecé son partenaire aux abois - sur le peuple grec, isolé, vilipendé, ruiné, garrotté, est aussi responsable de la dégénérescence de a classe politique et du nihilisme de nombreux citoyens qui ne voient plus d'issue dans le cadre non-démocratique de l'UE. La trahison d'Alexis Tsipras à l'été 2015 a porté le dernier coup à l'espérance politique et au crédit de l'Etat. M. Prévélakis, vous êtes optimiste ! Le peuple grec est "sonné", seules les élites mondialisées me semblent pouvoir porter au loin le message du néo-hellénisme tel qu'il est défini plus haut.

Enfin je ne suis pas en accord avec l'auteur lorsqu'il accorde sa confiance dans la marine marchande et dans l'Eglise orthodoxe.
L'Eglise, par son conservatisme, interdit toute liberté d'esprit et conforte la tradition, celle qu'on traîne comme un boulet. Quant aux armateurs, s'ils sont capables comme les Goulandris l'ont fait à Andros, de participer au développement local, ils sont capables aussi de déménager de Grèce laissant et à Athènes et au Pirée 20 000 familles dans la détresse. Cette activité est totalement cosmopolite et peut être déplacée ... à Singapour ! Ils l'ont dit ! Ils paient de fait à L'Etat l'impôt qu'ils souhaitent payer, un peu à la manière dont le clergé de France, avant la Révolution, payait au roi un "don gratuit" !
Et pour conclure, mais vous l'avez compris, il faut lire ce livre dans le contexte assumé de la mondialisation.

vendredi 16 novembre 2018

Grèce : musées et sites antiques à vendre !

J'apprends par la presse en ligne que le ministère grec des finances a transmis au TAIPED, l'agence en charge de la privatisation du patrimoine public hellénique, une longue liste de musées et de sites archéologiques ... à vendre !  Au même titre que les ex-compagnies publiques d'électricité (DEI) ou de télécommunications (OTE) et de bien d'autres entreprises appartenant autrefois au peuple grec dans son ensemble.

A vendre - Palais de Knossos

Au sein de cette liste on trouve le palais minoen de Knossos en Crète, la nécropole royale macédonienne de Vergina, la Tour blanche de Thessalonique, le musée archéologique de Véria, le site proto-historique de Santorin dans les Cyclades, les forts d'Arta et de Corfou et ... le tombeau d'Eleuthère Vénizélos à Chania !
Pour faire bon poids sans doute on trouve dans cette liste des sites naturels et des forêts estampillées Natura ou Ramsar.

Cette mise à l'encan est une conséquence du dernier mémorandum intervenu à la suite de la capitulation de Tsipras devant les créanciers en juillet 2015 et suivie de textes de loi scélérats votés par une majorité désormais aux ordres de l'Eurogroupe.

Investisseurs, achetez la culture hellénique ! Mettez barrières et vidéosurveillance dans votre nouvelle propriété, le fort vénitien de Corfou !

La citadelle de Corfou

Privatiser tout cela revient à arracher sa culture au peuple grec en premier lieu et aux peuples de l'Europe toute entière en second. Au delà d'une indignation académique bien justifiée, on peut penser aux déprédations possibles des nouveaux Lord Elgin, le consul anglais qui fit au début du 19e siècle partir pour Londres les métopes du Parthénon avec l'accord du sultan , il convient de se demander pourquoi le néolibéralisme ambiant se comporte ainsi. Certes vendre une forêt, un château ou un site antique prestigieux à un investisseur peut rapporter gros, mais quid du tombeau du grand patriote crétois Vénizélos ?

Il n'y a pas que des question immédiates d'argent là-dessous. Il y a la volonté de spolier culturellement  un peuple, de l'abrutir, de l'humilier. Et au delà d'humilier tous les autres. En grec culture se dit politismos et citoyen politis. C'est dire tout le rapport qui existe entre la citoyenneté et la culture hellénique, ce mélange d'humanités classiques, de christianisme orthodoxe et de souvenirs ottomans. "Déculturer", si j'ose dire, c'est contribuer à la mort de la citoyenneté, cette rivale politique du capital. C'est aussi porter un coup à l'identité nationale, ce mélange de langue, de peuple, de territoire et d'histoire partagés, un repoussoir pour la mondialisation, vecteur de la seule culture anglo-saxonne.
Pourquoi ? Pour faire du peuple grec, triste premier de cordée des peuples européens, les toutous dociles de la dictature des marchés.

mercredi 7 novembre 2018

Alexis Tsipras, naïveté ou cynisme ?

Pendant que Le Média vit encore, je souhaite partager avec les lecteurs de ce blog l'interview de Stathis Kouvelakis par Aude Lancelin. Au delà de l'enfumage porté par la presse dite mainstream et par le commissaire européen Moscovici, voici un tableau complet de la situation sociale et politique de mon pays d'adoption.


Et découvrez comment et pourquoi Alexis Tsipras est devenu le fidèle exécutant des volontés de la Troïka.
Voici le lien : https://www.youtube.com/watch?v=LY1rTFekveU
A utiliser sans modération !

lundi 9 avril 2018

Fêtes de Pâques dans mon village de Skalados

En Grèce Pâques est la fête la plus importante de l'année. La résurrection du Christ et la renaissance de la nature s'y confondent. Tout est symbole.

Dans le village catholique de Skalados à Tinos on fête Pâques aux mêmes dates que les Orthodoxes qui sont la majorité du peuple grec. En 2018, c'était le 8 avril.
La semaine sainte - Megali Evdomada - commence le dimanche des Rameaux, où l'on célèbre l'entrée de Jésus dans Jérusalem. Le jeudi saint est marqué par une messe solennelle durant laquelle un des villageois prend la parole pour évoquer les angoisses du Christ au mont des Oliviers. Nouvelle messe le vendredi - Megali Paraskevi - où un homme et une femme jouent respectivement les souffrances de Jésus en croix et les déplorations de Marie.
La messe de Pâques débute le samedi à 23h. Les fidèles se réunissent dans l'église silencieuse comme un tombeau. Le prêtre allume le cierge pascal, distribue la lumière aux assistants qui portent de petits cierges et commence la messe dans l'église faiblement éclairée. Il prononce des paroles d'espoir. A minuit Christ ressuscite : le sacristain brandit l'étendard où est figuré Jésus s'élançant hors du sépulcre. Dehors explosent pétards, feux de Bengale et décharges de fusils. Après l'élévation tout le monde communie puis une procession fait le tour du village et chacun va se coucher vers 1 heure du matin.

Le lendemain c'est la fête profane ! Au petit matin les cuisiniers embrochent les agneaux. ils seront cuits à point vers 13h.




Tout le village se rassemble alors dans l'enclos de l'école. L'association de Skalados offre les agneaux mais chacun apporte un plat de sa composition - salades, artichauts, pitas, fromages - et du vin, et du raki ! Le carême - Sarakostis - est terminé et chacun se régale de viande et de vin ! On invite volontiers les étrangers de passage. L'orchestre prend place et bientôt on ne peut plus se parler. Les premiers danseurs s'avancent et c'est parti pour un après-midi de danses, de chants et de musique traditionnelle. Vers 17 h, le vin aidant, les voix déraillent un peu et les anciens plus résistants continuent seuls à chanter en se balançant à droite et à gauche. Mais les jeunes continuent à danser au milieu des assiettes brisées et des détonations des vieux tromblons, les tribonia. La fatigue ne les gagne qu'à la tombée de la nuit !




Kali Anastasi, Kalo Paska ! Christ est ressuscité, Printemps est arrivé !

mardi 6 février 2018

L'île des pigeonniers

Selon la savante étude d'un architecte de Patras, publiée dans les années 1980, Tinos renfermerait un millier de pigeonniers, bien plus que dans les autres Cyclades ! Et quels pigeonniers ! Ces tours massives portant des merlons à leurs angles sont délicatement ornées de rouelles de triangles, de losanges qui forment une dentelle de pierre, attestent de l'habileté des maçons-paysans et de l'attention portée par leurs propriétaires à ces précieux édifices.





Pigeonniers et conquérants latins


En 1204 les Croisés dévoyés de la Terre Sainte par le doge de Venise prirent la capitale byzantine, Constantinople, se répandirent en Grèce et dans l'archipel, créant un éphémère empire latin d'Orient au sein duquel les Vénitiens se réservèrent notamment les Cyclades, essentielles à leur commerce. Tinos fut atteinte en 1207. Les Ghizzi, seigneurs italiens, y transportèrent la religion catholique et le droit féodal occidental. Ce droit fut cristallisé par les Assises de Romanie dans la première moitié du 14ème siècle. En 1390 la république de Venise succéda aux Ghizzi et conserva ce droit qui réservait aux nobles, comme dans l'ancienne France, le droit de posséder un colombier.
La longue durée de la présence latine à Tinos - de 1207 à 1715 - explique le nombre des pigeonniers : on en trouve certes quelques uns à Andros ou à Naxos et ailleurs, mais ces îles passèrent dès 1537 sous la houlette des Ottomans qui abolirent le droit de colombier, ôtant à ces derniers toute signification de domination sociale.

Pigeonniers et féodalité latine


En effet la possession de pigeonniers signifiait noblesse, comme le port de l'épée, d'un blason et surtout le service militaire exclusif à la forteresse d'Exombourgo qui entraînait l'exploitation de seigneuries. Selon le P. Markos Foskolos les nombreux villages de Tinos dont les noms se terminent par -ados (Arnados, Ktikados, Skalados, Venarnados ...) proviennent des anciens fiefs latins : le village de Skalados, dont le nom italien est Cicalado, aurait été dominé par les Cicala, des nobles de Ligurie ou du royaume de Naples.

La reddition de la forteresse en 1715, ouvrant la voie à la courte période de domination ottomane, entraîna, comme dans le reste des Cyclades deux siècles plus tôt, l'abolition du droit de colombier.
Et conséquemment la construction de nombreux pigeonniers puisque désormais toute personne qui en avait les moyens pouvait accéder à ce prestigieux marqueur social .... et en utiliser les richesses.

Pigeonniers et agriculture ancienne


Parallèlement à ce qui vient d'être écrit il faut relever l'importance des pigeonniers dans l'ancienne agriculture.

Tinos connaissait le cercle vicieux commun à de nombreuses régions méditerranéennes : dans une économie autarcique et de subsistance, la culture des céréales était privilégiée, mais du fait de l'absence d'amendement et de la rareté du fumier, les rendements étaient très faibles, ce qui entraînait de longues périodes de jachères, la mise en culture des parcelles les plus ingrates et souvent la disette.
Le 18ème siècle vit la population insulaire s'accroître jusqu'à compter le nombre de 20000 habitants. Le maximum fut atteint en 1809, selon un recensement ottoman. Pour se nourrir et se nourrir mieux les paysans désormais libérés du droit féodal se tournèrent vers un jardinage intensif en utilisant la fiente des pigeons comme engrais dans leurs parcelles situées près des sources et des zones humides. De très nombreux pigeonniers ont été construits au 18ème et dans le premier 19ème siècle dans ce but. D'où leur concentration dans les vallées comme à Tarampados, où l'on a su les mettre en valeur, ou à Agapi. D'où aussi la renommée des produits maraîchers de l'île. Notons enfin que les colombiers étaient une source de protéines, sous la forme de viande et d'oeufs.


Les pigeonniers de Tinos aujourd'hui


L'économie contemporaine de Tinos dont les bases sont le pèlerinage orthodoxe, la construction, la production d'artichauts primeurs et le tourisme estival a retiré aux pigeonniers leur fonction économique. Certes ils restent un des symboles de l'île mais beaucoup sont ruinés ou menacent ruine, trop peu sont entretenus - excepté dans la vallée de Tarampados - et bien qu'ils soient classés par le ministère de la culture hellénique leur restauration n'est pas encouragée financièrement. Il suffit de marcher sur les sentiers de l'île pour constater que cet antique patrimoine est en péril.

Je veux ici saluer le travail de Maya Tsoclis, présidente des Amis du Vert (Filoi tou prasinou) qui s'est donné pour objectif de restaurer le plus de pigeonniers possible et en appeler une nouvelle fois à promouvoir à Tinos un tourisme durable favorisant la découverte du patrimoine paysan. Le dégagement et le balisage du réseau de sentiers, décidé par la municipalité, est un premier pas dans cette voie.








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