mardi 26 novembre 2013

Restaurer un pigeonnier

Un voisin de Skalados, Marios, nous demande un jour de l'été 2007 si l'achat d'un pigeonnier nous intéresse ! Nous partons avec lui vers Papadia, au dessus de Krokos. Beau et grand pigeonnier, en réalité une petite maison (présence de deux cheminées) et un pigeonnier réunis par la même décoration de triangles et de rosaces, avec une vue superbe sur Smardakito et Pateles. Mais ... le toit est par terre et la façade est en train de s'écrouler. Cerise sur le gâteau, pas un mètre carré de terrain.

Pas cher bien sûr, vu l'état; Marios nous met en relation avec Niko, surnommé Geia mas (à notre santé !), le tavernier retraité de Krokos, propriétaire du terrain de 1500 m2 qui entoure le pigeonnier, et on discute ferme avant de se mettre d'accord en novembre. Donc on achète pigeonnier et terrain, à la grecque, en liquide ! Gros sac de billets pour les vendeurs, un plus petit pour le notaire et les droits de mutation, une enveloppe pour notre avocate, chargée de vérifier la bonne rédaction des actes.





Départ de la première tranche de travaux à l'automne 2008, après que nous ayons fait des photos, des relevés et des plans pour les artisans. Déblayer les gravats du toit, le rétablir en récupérant les plus grosses poutres qui sont encore bonnes, couler une dalle à l'étage et refaire à l'identique la façade dont la partie centrale sera démontée pierre à pierre puis remontée par notre maçon, Giakoumis. Gros travail accompli dans des conditions difficiles : le pigeonnier est à 150 m de la route, on y accède par un sentier. Donc s'entendre avec le voisin pour que les matériaux soient déposés chez lui, les derniers mètres étant parcourus à la brouette. Fin octobre 2008 le pigeonnier de Papadia est sauvé !






Mais ils est encore loin de pouvoir être habité. Il faut se refaire une santé financière et prendre des décisions concernant l'électricité, l'adduction d'eau, l'assainissement et la récupération des eaux de pluie. On opte pour des panneaux solaires. Papadia sera notre maison d'été et de mai à octobre, tous les jours ou presque sont ensoleillés. Une délibération du conseil municipal d'Exombourgo nous autorise à nous raccorder au réseau d'eau de Krokos et pour arroser le jardin potager, on fait mettre en place deux citernes de 3500 litres chacune. Enfin, on décide d'adopter les toilettes sèches et le compostage, ce qui permet, outre la fumure du jardin, de pouvoir introduire nos eaux grises dans le sol après une simple décantation. Un projet conçu dans un esprit de stricte économie. Première mise en culture du potager à Pâques 2009.




La tranche d'habitabilité débute en septembre 2010. Maintenant il faut préparer les travaux du plombier, de l'électricien, du menuisier et pour l'aménagement intérieur, du maçon. Rédaction des plans, marquages sur les murs (une croix, une prise) pour éviter toute incompréhension et nous voilà repartis.




Nous commençons à habiter le pigeonnier fin juin 2011 (ma première nuit avec le oiseaux qui rentraient et sortaient avec de grands battements d'ailes!), et nous passons l'été à y bricoler, menuiserie surtout ! Désormais c'est nous qui travaillons au  chantier : 2012, aménagement du pigeonnier proprement dit, transformé en chambre à 2 niveaux, dallage d'une terrasse et passage général à la chaux pour éloigner les vilaines bêtes, 2013, restauration des terrasses et aménagement intérieur de l'étable posée contre la façade. Le Grand Tour de Patrick de Carolis nous rend visite en juin 2013, un clip sur les pigeonniers et l'influence de Venise dans les Cyclades !








Bientôt à Papadia, un jardin d'aromatiques !


dimanche 24 novembre 2013

Le monde rose

Lorsque l'on se rend d'Athènes à Tinos en ferry, on longe peu après le détroit qui sépare Andros et Tinos la montagne de Pateles. Deux villages sont accrochés à son flanc à mi-pente : Isternia et Kardiani, deux balcons sur l'Egée.
Pateles culmine à près de 700 m.
Un très ancien chemin (époque vénitienne ?) situé aux deux tiers de la pente, à la limite de la zone pastorale traverse Pateles du nord au sud. Ce chemin est dallé, parfois taillé à pic sur une quinzaine de Km. Il offre des perspectives d'une grande beauté et permet de rejoindre facilement la ligne de crête et les sommets.

Un jour de novembre 2012 nous l'avons parcouru au coucher du soleil. Nous avons découvert le monde rose !















samedi 23 novembre 2013

Description d'une maison paysanne

La plupart des villages de Tinos sont situés dans la partie centrale de l'île sous le regard de l'ancienne forteresse vénitienne, Exombourgo.
On y trouve encore de nombreuses maisons anciennes, datant souvent du dix-huitième siècle, période prospère pour Tinos. Je propose de décrire ici la maison que nous avons restaurée dans le village de Skalados : elle est représentative de la maison tiniote et de l'architecture cycladique.


La maison repose sur un "katoï", ou cellier. C'est un robuste cube de pierre assis sur le rocher, aux murs très épais (80 cm) réunis par des voûtes lorsque la portée dépasse 2 m, ailleurs par des poutres d'olivier, de cèdre ou de mûrier.  Sur les poutres on pose des lauzes de schiste, une couche de 20 cm de terre puis une croûte de mortier : telle sera la base de l'étage supérieur. Le cellier comprend une salle principale soutenue par une voûte massive dont les piédroits avancent fortement. Ils formeront la base de la voûte de la grande salle supérieure.
Le cellier est une salle de ferme : on y trouve un espace de stockage pour les récoltes rempli de jarres qui contiennent les grains, l'huile d'olive, les figues sèches, les pommes de terre, plus des tonneaux de vin, des dames-jeannes de marc ("raki"), le foin pour les bêtes, les outils agricoles, bêches, araires, herses. A Skalados il y a aussi le pressoir ("patitiri") où l'on foule aux pieds le raisin pour faire le vin. Un escalier et une trappe permettaient de faire communiquer la cuisine et le cellier.
Un peu plus loin, la porcherie et sur la rue, l'étable de l'âne. Enfin, le "kéli", réservoir à compost où s'accumulent les déchets organiques. Rien ne se perd, tout se transforme !

L'étage d'habitation est un cube plus petit que le cellier sur lequel il est assis et dont il reprend le plan : une salle centrale ou "saloni", dont le toit repose sur une voûte haute (5 m !) et élancée, deux petites chambres ou "ypnodomatia", enfin la cuisine et sa grande cheminée, qui sert davantage à la cuisine qu'au chauffage. A l'arrière de la maison on peut accéder au petit jardin et à la basse-cour, à l'avant, sur la rue, une terrasse, ou "avli", espace de sociabilité. L'ouverture des deux portes établit un courant d'air agréable en été. Portes et fenêtres sont surmontés de tympans de marbre sculptés ("hyperthyra") à motifs orientaux. Cette partie de la maison date de l'époque ottomane, vraisemblablement de la fin du 18e siècle. Ni toilettes ni salle de bain, du moins avant la restauration ! Ici vivait frugalement une famille d'une dizaine de personnes.

Nous louons cette maison en été, mais l'habitons lors de nos séjours d'hiver. Voici l'adresse de son site, qui comprend une visite virtuelle :
http://www.maisondeskalados.fr

Nous louons une autre maison traditionnelle, dans le village de Loutra. Son site comprend aussi une visite virtuelle :
http://www.maisondeloutra.fr

Le cellier, à gauche le pressoir

Le cellier, la grande salle et l'ancien fenil


La cuisine

Le "saloni"

Le saloni

Le saloni

Une chambre à coucher

La maison de Skalados vue de la route 






vendredi 22 novembre 2013

Vestiges de la vie traditionnelle



En empruntant les sentiers de l'île on rencontre partout les traces et les vestiges de la vie paysanne d'autrefois. Pas étonnant ! Les voies de communication du centre de Tinos sont récentes - les années 1970, comme l'électrification - et auparavant les villageois qui vivaient dans une quasi autarcie utilisaient leurs ânes pour se déplacer, travaillaient leurs champs en terrasses et leurs jardins pour se nourrir, utilisaient leurs moulins à vent, leurs pigeonniers, leurs modestes étables. Une économie de subsistance, pauvre et frugale, très différente de l'économie d'échanges qui est le lot de la plupart des Européens. Aujourd'hui, et malgré la crise qui affecte gravement la Grèce, la situation a changé et l'on peut considérer comme moribonde la culture des terrasses élevées et anecdotiques les déplacements à dos de mulet. Seules les petites plaines sont cultivées, les paysans sont devenus rares.
Subsistent les robustes vestiges d'un temps pas si éloigné. Des paysages, des constructions, des chemins.

Les sentiers muletiers

A Tinos comme souvent en Europe du sud (Espagne ou Italie méridionale), les paysans habitent de gros villages établis sur une source abondante et se déplacent pour cultiver leurs jardins, champs, vignobles, oliveraies, souvent dispersés sur de différents terroirs. Pas de fermes isolées comme en Europe du Nord, tout au plus des "katikies", maisons des champs où l'on peut dormir durant les moissons et les gros travaux. D'où l'importance et le nombre des sentiers muletiers qui mettent les villages en relation et permettent d'atteindre les plus modestes parcelles. Les plus importants sont dallés, larges de 5 m, comme le chemin vénitien allant de San Niccolo (actuellement Tinos, la petite capitale de l'île, à la forteresse vénitienne d'Exombourgo); les plus modestes, étroits, calculés pour le passage d'un animal de bât, sont dallés sur les terres meubles, taillés dans le rocher et présentent des escaliers rustiques pour franchir les pentes et fournir aux ânes un appui sûr. Ces chemins sont toujours bordés de murs de pierre sèche qui interdisent la divagation des animaux.
Depuis quelques années, certains chemins ont été restaurés et balisés pour les randonneurs.

Les terrasses

Tinos est une montagne, un rocher dans la mer Egée : 30 Km de longueur sur 10 de largeur, mais près de 800 m d'altitude au mont Tsiknias ! C'est dire que les pentes sont raides. Pour mettre la montagne en culture, il a fallu aménager des terrasses, transformer les  garrigues en pyramides à degrés sur des kilomètres carrés et obtenir des bandes plus ou moins larges de terre aplanie sur lesquelles étaient cultivées les céréales, les oliviers, les vignes. Travail énorme que les générations paysannes ont entrepris et que Cornélius Castoriadis a magnifié en écrivant que "Tinos est une île faite à la main". Travail de Sisyphe, jamais terminé, puis qu'après les orages il faut remonter les terres éboulées, consolider les murs de soutènement construits en pierre sèche et bourrage de cailloux, avec quelques grosses pièces bien engagées dans le terrain pour la solidité de l'ensemble. Les terrasses sculptent les flancs de Pateles jusqu'à 600 m d'altitude. Au dessus, c'est le domaine des troupeaux de moutons et de chèvres.

Les étables

Pour les bêtes, on a construit des abris munis d'abreuvoirs et parfois d'un enclos; ce sont les "stavli". Les plus simples s'appuient sur une paroi rocheuse. On fait ainsi l'économie d'un mur. La plupart sont des constructions rectangulaires de pierre couvertes de dalles de micaschiste. Les murs s'évasent vers le sommet pour les recevoir; pour l'étanchéité, on pose sur ces dalles une couche de terre argileuse. Dans certaines zones, comme à Falatados ou Volax, les "stavli"  ronds sont construits autour d'un pilier central à  large chapiteau. Les dalles de couverture qui prennent leurs appuis sur le pilier et sur les murs goutterots sont disposées comme les pétales d'une marguerite. Certaines étables pouvaient accueillir des hommes pendant la période des gros travaux des champs, lorsqu'en témoigne la présence d'une cheminée.

Les fontaines

Tinos est relativement riche en eau pour une île méditerranéenne, et le fait explique son ancienne prospérité agricole. Les fontaines des villages sont toujours décorées et consacrées à une saint ou à la Vierge "zoodochos pigi", source de vie; elles servent à l'alimentation en eau des familles et au lavage du linge. A la campagne, elle sont situées près des jardins et associées à de savants aménagements hydrauliques : conduits, aqueducs, bassins de stockage. Tout est conçu pour éviter le gaspillage du précieux liquide.

Les aires à battre

En Grèce du sud, on dépique le grain en le faisant fouler par les animaux, le plus souvent par les ânes ou les mulets, plus rarement par les boeufs. Cette opération se déroule dans les aires à battre, "alonia" en grec. Ce sont des cercles soigneusement dallés et fermés par de hautes lauzes placées debout. Après le passage des animaux les paysans soulèvent grains, pailles et sons à la fourche et le vent se charge de disperser les parties légères. Seuls les grains tombent sur le sol de l'"aloni".

Les pigeonniers

Les pigeonniers "peristériones" sont emblématiques de l'île : nulle part ailleurs dans les Cyclades on en rencontre un tel nombre. Ils répondent à deux besoins:
- la fumure des jardins; traditionnellement, il y a peu de bovins, donc peu de fumier. On le remplace par la colombine, excellent engrais. Mais il faut pour en disposer construire un pigeonnier. Accessoirement, on mange les jeunes pigeons;
- la recherche de la considération sociale; pendant la période latine, du 13e au début du 18e siècle, le droit de pigeonnier, importé d'Occident, était conféré aux seuls nobles devant le service armé à la forteresse d'Exombourgo, issus de familles italiennes, catalanes, albanaises, françaises aussi. La conquête ottomane, en 1715, abolit ce privilège et chacun put construire des pigeonniers. D'où leur prolifération.
Les pigeonniers sont associés aux zones humides et aux jardins. Ils sont fréquemment décorés : triangles, rosaces, losanges.

Les moulins

Comme dans toute la zone égéenne, on rencontre des moulins à vent perchés sur les collines et souvent groupés. On profite ainsi d'une des ressources de l'île, le vent du nord qui souffle couramment à 6 ou 7 Beaufort. Les ailes des moulins étaient équipées de voiles et un renvoi d'angle muni d' d'engrenages à lanterne de bois dur transformait le mouvement horizontal en mouvement vertical propre à entraîner les meules en pierre de Santorin ou de Milos, des îles volcaniques.
Plus étonnante est la présence de moulins à eau ! Comme partout en Europe du sud ils présentent un axe vertical et des roues à cuillers. Le canal d'amenée débouche sur un bassin de stockage fermé par une vanne de pierre dont la manoeuvre ouvre un conduit de chute, toujours en pierre, de 4 à 5 m de hauteur. On travaille donc avec la force du courant, comme dans les modernes roues Pelton.

Les katikies

Les"katikies", littéralement les maisons basses, se rattachent un peu aux "stavli" dans la mesure où ce sont des résidences humaines temporaires, éloignées des villages et proches des champs. Elles sont néanmoins remarquablement construites et dans la région de Pyrgos, ou Exoméria, on leur associe volontiers les instruments de production du vin et du marc de raisin, le "patitiri" ou pressoir par foulage et le "rakizio", bassin destiné à servir de réfrigérant à l'alambic familial qui produit l'eau-de-vie, le "raki".

Les chapelles

Catholiques ou orthodoxes, elles accompagnent fréquemment les pigeonniers, les aires à battre et les étables. Ici, le matériel et le spirituel ne sont pas séparés et il convient de remercier Dieu de ses bienfaits. Les chapelles sont modestes, construites comme les étables, mais toujours entretenues et soignées. Très peu sont abandonnées. Les chapelles catholiques se situent dans le centre de l'île. Toutes sont ornées d'un tableau d'autel représentant le saint auquel elles sont consacrées, dans la pure tradition de l'Italie. Les chapelles orthodoxes sont plus complexes et plus décorées : iconostase, fresque de la Vierge à l'enfant dans l'abside, miséricordes et icônes naïves qui rappellent elles-aussi les ex-voto napolitains.



Moulin à eau près de Lychnaftia
Pigeonniers et chapelles à Potamia




Les terrasses

Intérieur d'une katikia près de Pyrgos

La roue à axe vertical du moulin de Lychnaftia

Une chapelle orthodoxe

Une chapelle catholique

Une étable à pilier central

Une chapelle près de Moussoulou




Une aire à battre près de Pyrgos

Un chemin dallé près de Ktikados
La fontaine néo-classique du village d'Arnados

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