jeudi 17 décembre 2015

Grèce : le feuilleton de l'été

Premier article depuis le retour du blogueur en Gaule ! Naturellement il est consacré à la crise du printemps et de l'été 2015.
Rappelons nous de la situation au mois d'avril : en substance il s'agissait pour l'Eurogroupe de tordre le bras du premier ministre grec, issu de Syriza, pour qu'il aligne sa politique sur celle de son prédécesseur de Nouvelle Démocratie et inscrive dans la durée en Grèce l'austérité et ses corollaires, hausse des impôts, baisse des retraites et des salaires, instauration d'un Etat minimal. Le tout contre les 7 milliards restant à verser du deuxième plan d'aide et des promesses de réexamen de la dette.


Petit à petit le gouvernement grec s'est retrouvé dans les cordes, étranglé par les échéances de la dette du mois de juin. Il fallait alors soit renoncer à payer salaires des fonctionnaires et retraites, soit ne pas honorer la dette, notamment vis à vis du FMI, choix qui a été opéré. Le tout a été aggravé par la décision vraiment politique de la BCE qui s'est mise à limiter les crédits accordés au pays et a provoqué en retour des retraits massifs de liquidités par les déposants, mettant en danger l'existence des banques ! Le garrot était alors serré au maximum.
Les "lignes rouges" du gouvernement grec ont commencé à bouger le 24 juin : un rapprochement de ses positions avec celles de l'Eurogroupe s'est esquissé. Tsipras a proposé des hausses d'impôts pour les plus riches et l'augmentation de la TVA, passant à 23 %, une baisse des crédits militaires. Un accord a été envisagé, aussitôt torpillé par le FMI qui a adopté une position de classe : toucher aux riches serait une mesure qui favoriserait la récession, mieux vaut donc poursuivre l'étranglement des pauvres et réduire les dépenses ! Pendant ce temps, à Tinos, l'église orthodoxe servait des soupes populaires aux retraités !
Pas d'accord donc, ce qui a imposé le contrôle des capitaux et trois semaines de fermeture pour les banques aux abois. Le ministre Varoufakis a préparé alors l'édition d'une monnaie de nécessité, des reconnaissances de dette libellées en Euros, un cauchemar pour la Chancelière !
Alexis Tsipras a décidé d'en appeler au peuple. Les Grecs ont été invités à se prononcer sur la poursuite de l'austérité le 5 juillet. Austérité qu'ils ont repoussé à une large majorité (61 %), ce qui n'a pas empêché les créanciers de rester sourds à la voix populaire.


Restait à se soumettre ou à se démettre. Ioannis Varoufakis démissionnait le lendemain du référendum tandis qu'Alexis Tsipras, "coaché" par Hollande - qui a dû avoir bien peur pour la dette de la France - est allé à Canossa. Un accord était conclu le 13 juillet dans une ambiance exécrable. Une reddition sans conditions ! Privatisations, hausse des impôts indirects, réduction des retraites, le tout assorti d'un contrôle tatillon, contre le maintien dans l'Euro, la perspective d'un troisième plan d'aide et comme toujours de vagues promesses concernant la dette ! Retour de la Grèce à la case départ, comme si les élections de janvier et le référendum de juillet 2015 n'avaient pas existé. Comme si cette politique n'avait pas mené le pays à la catastrophe.
Syriza s'est scindé et Tsipras a dû accepter des soutiens à droite pour voter les premières mesures exigées par les créanciers. Cette ouverture à droite s'est trouvée confirmée par les résultats des élections anticipées du 20 septembre. Pour l'Eurogroupe la situation grecque est désormais sous contrôle.

Défaite de la gauche grecque qui chausse les bottes de ses adversaires, certes, mais aussi de l'Europe, qui a prouvé à la face du monde qu'elle se moquait du suffrage populaire, que sa solidarité ne pesait guère face aux marchés financiers, qui au reste ne se gêneront pas pour attaquer tout pays - même l'Italie, même la France, étonnamment aveugle ou complaisante - ayant des difficultés avec sa dette. Une Europe de la coercition.


J'ai rêvé d'Europe dans les années 90. Mon rêve a achevé de se briser dans la nuit du 12 au 13 juillet 2015 avec les vociférations du ministre allemand Schäuble.









vendredi 27 mars 2015

Le garrot européen

A quoi se résument depuis le 20 février les Eurogroupes, mini-sommets consacrés à la situation grecque et autres pantalonnades médiatiques ?
A un impératif politique absolu : faire plier le gouvernement Tsipras, rendre impossible la réalisation du programme sur la base duquel le peuple grec l'a porté au pouvoir en janvier de cette année. Donc nier sans l'exprimer le principe de la souveraineté du peuple.

Pourquoi ? Les Grecs ont été les premiers, et hélas encore les seuls, à refuser clairement les mesures de déflation interne imposées par la Troïka. S'ils se libéraient  réellement de ce carcan ils feraient école ailleurs en Europe, en Espagne et au Portugal notamment . D'où les cris d'orfraie identiques de MM. Rajoy et Coelho,  le premier de droite, le second  soi-disant socialiste, unis dans le chaste noeud du falsoculisme, avec la chancelière en seconde ligne ! Il faut que Tsipras échoue à tout prix ou presque.

Comment y parvenir ? La solution vient aussi d'Espagne : le vieux garrot du général Franco ! Garrotter financièrement la Grèce en ne lui versant pas l'argent qui lui a été promis c'est empêcher Tsipras de réussir et prouver aux peuples qui souffrent qu'il n'existe pas d'alternative à la domination de l'Europe par les conservateurs allemands.
Tsipras est coincé entre les exigences légitimes de son peuple et la nécessité de maintenir son pays dans l'Euro. Donc l'Eurogroupe exige des réformes pour libérer les fonds qu'il gèle, mais refuse la réforme fiscale profonde proposée par le gouvernement grec et jugée ridicule à Bruxelles. L'Eurogroupe exige de Tsipras qu'il chausse les bottes de son prédécesseur Samaras et prenne de nouvelles mesures d'austérité : hausse de la TVA et assouplissement des procédures de licenciement. Et puisque Tsipras fait la sourde oreille, on attend que le bourreau serre la vis du garrot. Le bourreau, c'est la dette qu'il faut rembourser.



A un instant d'expirer - de faire défaut sur une échéance, donc de sortir de l'Eurozone en déclenchant un crise ravageuse - on trouve 2 milliards et on laisse souffler le condamné.

Ca va durer longtemps ?


samedi 21 mars 2015

Tinos vue par Choiseul-Gouffier en 1781

Autre temps, autre sensibilité ! Le diplomate et antiquaire Marie-Gabriel de Choiseul-Gouffier (1752 -1817) visite la Grèce à la fin des années 1770. Son périple lui permet d'écrire Le Voyage pittoresque de la Grèce, dont le premier tome, richement illustré, parait en 1782. Le futur ambassadeur de Louis XVI à Constantinople y brosse le portrait d'un Grèce idéalisée, aspirant sous le joug ottoman à recouvrer sa liberté. Le comte de Choiseul-Gouffier, pré-romantique, jette un pont entre les Lumières et le philhellénisme des élites européennes des années 1820.


 Voici les textes et les estampes qu'il consacre à Tinos, tirés de Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF.

p. 44 et sq.

Les femmes de l’île de Tine ont toutes les plus belles proportions dans les formes, de la régularité dans les traits & une physionomie piquante qui supplée souvent à la beauté & y ajoute toujours. L’habillement le plus voluptueux couvre leurs charmes sans les cacher.
Le commerce et l’industrie répandent dans cette île une aisance générale et une sorte d’égalité qui, sans confondre les classes de citoyens, empêchent les uns de se corrompre et les autres de s’avilir. Les femmes que dans d’autres climats, leur richesse où leur naissance sembleraient autoriser à l’inutilité, ne dédaignent point de s’occuper des détails intéressants de leurs ménages et travaillent avec plaisir aux vêtements que leurs enfants doivent porter. Dès que la chaleur tombe et que le soleil sur son déclin peut encore éclairer leurs travaux sans pouvoir nuire à leurs charmes, elles sortent de leurs maisons, s’asseyent devant leurs portes, filent la soie ou la dévident ; d’autres la tricotent ou préparent les feuilles de mûrier, pendant que leur vieille mère fait des contes, souvent interrompus par les chansons des jeunes filles. Je crus alors pour la première fois que les tableaux délicieux que nous offrent les auteurs grecs étaient moins l’ouvrage de leur imagination qu’une fidèle imitation de la nature.
Le travail facile et peu pénible auquel sont employées les servantes de l’île de Tine leur permet de conserver tous leurs agréments. Elles n’ont d’autre occupation que filer la soie ou de nourrir les insectes qui la produisent. Aussi voit-on régner partout cette propreté qui fait tant plaisir au voyageur, parce qu’elle est un gage certain du bonheur du peuple et qu’elle suppose toujours la facilité à se procurer les premiers besoins. L’heureux citoyen de la Hollande annonce son opulence par la simplicité de son extérieur. Le sujet de l’Espagne & de l’Italie couvre sa misère de lambeaux dorés. Les habitants de Tine sont assez riches pour n’être pas réduits à désirer le paraître.


L’amour de la patrie conservé chez tous les Grecs insulaires a encore plus de force chez les habitants de l’île de Tine. Les servantes qui en sortent en grand nombre et qui sont connues dans tout le Levant par leur habillement, leur fidélité et leur intelligence, ne perdent jamais le désir de revoir leur patrie et de venir y jouir d’une aisance qu’elles doivent à leur industrie. Le patriotisme des Tiniotes a déjà été remarqué par M. Guys, que des connaissances étendues et un long séjour dans la Grèce ont mis à portée de donner un parallèle intéressant des Grecs anciens et des Grecs modernes.



Suivant Etienne le géographe, l’île de Ténos retint le nom de celui qui s’y installa le premier. Bochart au contraire veut qu’il dérive du mot phénicien Tannoth, serpent ou dragon. En effet tous les historiens s’accordent à dire que cette île était remplie de serpents ; elle prit même le nom d’Ophiussa et donna dans la Grèce à la vipère celui de Taenia. Ils étaient si abondants et si dangereux que les habitants auraient été obligés de l’abandonner si Neptune n’était venu à leur secours et ne les en eût délivrés. Ils lui élevèrent un temple magnifique, dans un bois, près de la ville de Ténos. Ce dieu y était honoré comme un grand médecin et l’on y célébrait des fêtes en son honneur. Ce temple avait des droits d’asile fort étendus, qui furent depuis réglés par Tibère, ainsi que ceux dont jouissaient tant de lieux de la Grèce.
Tine est de toutes les conquêtes des Vénitiens dans l’archipel celle dont ils on joui le plus longtemps. Ils ne l’ont perdue qu’en 1714, par la faiblesse du Provéditeur Bernardo Balbi, qui se rendit à la première sommation de l’amiral turc, quoi qu’il eût pu trouver dans la valeur de ses soldats & dans la bonne volonté des habitants un secours suffisant pour atteindre les secours que la République lui envoyait.
Cette île est une des plus riches et des plus agréables de toute la Grèce & son peu d’étendue est réparé par sa fertilité. Elle n’a que 12 lieues de circuit & près de 20 000 habitants y sont répartis dans 60 villages ou hameaux. Quoique l’île produise une grande quantité de soie elle ne suffit pas à leur industrie ; ils en tirent encore de celle d’Andros & en fabriquent des bas dont ils fournissent tout le Levant.


A une lieue et demi de San-Nicolo est l’ancienne citadelle construite par les Vénitiens. Elle est située sur une haute montagne d’où l’on découvre presque toute l’île. C’est un tableau délicieux où tout annonce l’industrie des habitants & où tout parait assurer leur bonheur. Aucun officier turc ne leur rappelle l’idée d’un maître, & gouvernés par des magistrats de leur choix, ils semblent n’obéir qu’à eux-mêmes. La vieillesse n’a point perdu tous ses droits dans la Grèce. Ces magistrats portent le nom de Vieillards, quoiqu’ils ne le soient pas toujours & le jeune homme est flatté de voir ajouter à la considération que donnent les dignités, la déférence que la nature réclame pour la vieillesse. Ces insulaires m’on paru heureux, éloigné du despote & ne s’apercevant de leur servitude qu’un seul jours dans l’année, il leur est presque permis de se croire libres.



Tinos est un paradis en cette fin de 18e siècle ! La fin de la domination vénitienne a en effet signifié, après les terreurs consécutives à la reddition d'Exombourgo, la fin de la piraterie turque, la fin du régime de l'exclusif qui unissait étroitement l'île à son ancienne métropole, la fin du régime féodal. Tous ces facteurs se sont conjugués pour favoriser l'industrie de la soie. Tinos s'est ouverte au commerce d'Orient comme au commerce d'Occident, enrichissant ses habitants, développant son port et son rôle d'escale entre Marseille et Smyrne. A cela s'ajoute l'éloignement du pouvoir ottoman : les Turcs se montrent une fois l'an pour percevoir l'impôt des infidèles, le karadj et les tributs dus aux grands personnages, laissant les Tiniotes s'administrer eux-mêmes, par leurs Vieillards.
L'île atteint alors une grande population et une grande richesse, 20 000 habitants, 60 villages, elle est plus imposée que sa grande voisine de Naxos !
N'oublions pas toutefois la tendance de l'auteur à idéaliser la Grèce.

Dans la petite ville de San Nicolo, aujourd'hui Chora, dont le port se résume à une plage protégée, on peut reconnaître quelques bâtiments toujours présents de nos jours. Sur la première estampe (vue du Couchant), on distingue sans peine la vieille église catholique de saint Nicolas et son haut clocher dont la flèche porte à ses quatre angles une fleur de lys, à sa droite l'église orthodoxe de la Panagia Malamaténia, enfin, tout à gauche et face à la mer les grandes arcades de l'actuel café Koursaros. La vue du Levant est prise depuis le cap qui porte maintenant le monument de l' Elli. Outre saint Nicolas, on découvre une autre église orthodoxe, peut être celle des Trois Hiérarques, et tout au fond, à Pallada, le bâtiment du lazaret (où était effectuée la quarantaine des marins suspects de peste) qui se dresse toujours face au site de l'actuel petit marché.


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