Promouvoir dans l'île un tourisme durable, éviter la "myconiotisation" de Tinos, favoriser la découverte intelligente de son patrimoine naturel et culturel, tels pourraient être les buts d'un écomusée à Tinos.
A l'initiative du Père Joyeux, des Jésuites de Grèce et d'un groupe d'amis franco-grec, j'ai repris ma casquette de conservateur. Voici le texte d'intention, rédigé en novembre 2016. N'hésitez-pas à réagir et à enrichir la réflexion engagée !
POUR UN ECOMUSEE DANS L'ÎLE DE TINOS
Tinos est une île miraculeusement préservée de l'archipel des Cyclades d'où se dégage une force extraordinaire. Elle fait présentement l'objet d'une communication insistante dans les médias d'Europe du nord, ce qui constitue à la fois un atout et un danger :
– un atout parce que de nombreux visiteurs étrangers enrichiront globalement l'île et susciteront des échanges de tous ordres ;
– un danger parce que l'actuelle préservation des patrimoines naturel et culturel de Tinos ne résistera pas au tourisme de masse. Tinos dans ce cas évoluera vers le modèle touristique purement marchand et mondialisé qui domine à Myconos, Santorin et Paros.
Conserver l'atout et écarter le danger, telle est la question. Elle peut être résolue positivement par l'adoption raisonnée d'un modèle original, le tourisme durable. Cela suppose une approche respectueuse des hommes, de l'environnement au sens large, une grande ouverture d'esprit et beaucoup de modestie. Je pense pour ma part que la découverte du patrimoine tiniote grâce à un réseau de sentiers pédestres organisés dans le cadre d'un écomusée peut partiellement résoudre l'équation en attirant des touristes avides d'échanges de qualité avec une population et un territoire et non pas seulement de soleil et de plages aménagées. On dit en français courant que l'on « fait » les îles grecques. Quelle erreur, quel toupet ! On ne fait pas Tinos, on la mérite.
Le concept d'écomusée
Georges- Henri Rivière 1897 – 1985 anthropologue et muséologue, fondateur en 1937 du musée national des arts et traditions populaires dont il assure la direction jusqu'en 1967. Rénovateur de la pensée muséologique grâce concept d'écomusée qui se développe en France et dans le monde à compter des années 1970, porté par l'organisation internationale des musées, l'ICOM.
Une tentative d'explication globale d'un territoire
L'écomusée envisage l'explication globale d'un territoire en favorisant la découverte et la compréhension de l'environnement naturel, de biotopes humains et de pratiques culturelles propres à ce territoire ; il faut noter qu'une île est le territoire idéal de l'écomusée. Les fondements de l'écomusée :
– Un lieu central qui rassemble et délivre une information de bonne qualité scientifique sur le territoire, ses patrimoines naturel et culturel et invite à la découverte ;
– La découverte in situ du patrimoine naturel et culturel ;
– Une gestion démocratique partagée entre élus, porteurs de projet et population.
Tinos aujourd'hui, brève tentative d'état des lieux
Tinos, entre immobilisme et séduction du modèle myconiote
– Le pèlerinage de la Panagia Evangélistria, est source de richesse mais aussi d'immobilisme : la dévotion à la Vierge de Tinos amène dans l'île des pèlerins venus de toute la Grèce et génère un chiffre d'affaire de 8 M. d'EUR par an ! Pour les Tiniotes c'est une rente de situation. Et une bonne raison de ne pas bouger.
– La proximité de Myconos, île mondialisée et bétonnée dont le modèle économique est basé sur le fun, le tourisme de masse et la communication par les peoples séduit plus d'un Tiniote attiré par l'argent facile ! L'application du modèle myconiote est à redouter : il détruirait Tinos et modifierait jusqu'à la sociabilité des habitants (à Myconos on parle anglais, à Tinos on parle grec et souvent tiniaka, le dialecte local, à Myconos on paie, à Tinos on sourit). Attention, une société chinoise a acquis récemment la plage de Kalivia, près de Kardiani...
Un désir d'autre chose ? Voici quelques éléments de réflexion
Un patrimoine naturel et culturel de première importance :
– patrimoine géologique ;
– patrimoine botanique et faune ;
– patrimoine culturel et spirituel abondant et lisible : la modernité (routes carrossables, électricité, téléphone, etc.) n'atteint les villages que dans les années 1970, laissant au bord des sentiers un patrimoine considérable, vrai témoin de l'ancienne économie paysanne. Voir le blog ensoleillé de Tinos : http://leblog.maisondeloutra.fr/2013/11/vestiges-de-la-vietraditionnelle.html
Une histoire riche et révélatrice dont les points forts sont :
– les civilisations de la Grèce antique, de l'époque archaïque à l'époque hellénistique ;
– l'époque vénitienne ;
– le néo-hellénisme, autour du sanctuaire de la Panagia, où se mêlent les symboles de la piété orthodoxe et du jeune Etat grec ;
Une volonté de valorisation portée par une partie significative de la population :
– des initiatives privées de conservation du patrimoine : restaurations de pigeonniers (Marouli Tarampados), constitution de collections d'objets de la vie rurale traditionnelle par des particuliers ;
– des initiatives associatives : certaines associations de village (syllogoi) collectent des objets et organisent leur valorisation, comme à Volax, Kardiani ou Aetofolia autour de la poterie traditionnelle
– des initiatives institutionnelles, telle les excellentes collections formées par les Jésuites à Loutra ou par l'évêché catholique à Xinara ;
– enfin des initiatives publiques : le tout récent musée du marbre de Pyrgos, les collections d'art populaire d'Agia Triada à Girla ou le musée archéologique de Chora dont les collections rendent compte des fouilles de Vryokastro, d'Exombourgo et du sanctuaire de Poséidon à Kionia .
Une volonté de connaissance portée par des érudits autour de la revue Tiniaka Analekta : le P . Markos Foskolos, historien, Alekos Florakis, anthropologue, Charis Koutelakis, archéologue et enseignant à l'Université du Pirée.
Un lieu magique qui concentre l'histoire de l'île et fonctionne comme un aimant pour les insulaires et pour les visiteurs étrangers, le nid d'aigle d'Exombourgo qui porte les vestiges de l'ancienne capitale, de la citadelle vénitienne et le sanctuaire jésuite du Sacré-Coeur. De là on domine la mer Egée et tous les villages de Tinos, à l'exception de la région de Pyrgos. Capitale vénitienne de l'île, forteresse latine Exombourgo protégeait Tinos, permettait l'accès au port de San Niccolo (Chora) et à tous les villages. Une puissance tutélaire ! Voir le blog ensoleilléde Tinos : http://leblog.maisondeloutra.fr/2015/03/exombourgo.html
Un écomusée à Tinos
Il pourrait s'appuyer sur trois piliers conceptuels et matériels - centre d'interprétation, sentiers entretenus et informés, renvoi sur les institutions et/ou ressources conservant des collections ou des pratiques (vannerie, poterie, etc.) - et sur une structure démocratique de gestion. Et bien sûr sur un solide site Internet avec version mobile et référencement soigné.
Le centre d'interprétation Situé à Exombourgo,
il pourrait contenir une analyse historique de l'île abondamment illustrée et une information sur le lieu lui-même : citadelle, ville, faubourg (sobborgo en italien, qui a donné Exombourgo en grec) invitant à sa découverte. La forme matérielle du centre d'interprétation est à inventer. Il doit communiquer et informer, être en consonance avec le lieu. Je l'imagine dehors, en position d'accueil. Une salle d'expositions temporaires aménagée à peu de frais dans les bâtiments existants permettrait de mettre en valeur tel ou tel point du patrimoine de Tinos : pigeonniers, ex-voto, chapelles, fresques...et de développer des ateliers pédagogiques créatifs.
Le réseau des sentiers
C'est le pilier principal. Les routes asphaltées de l'île sont récentes. Avant les années 1950 – 1970 les échanges entre ville et villages, entre villages et parcelles cultivées étaient effectués à pied ou à dos d'âne grâce à des sentiers souvent dallés ou taillés dans le roc, clos de murs de pierres sèches afin d'empêcher les divagations des vaches, des chèvres et des moutons. Ces sentiers existent toujours et certains sont portés sur la carte Anavasi (équivalent grec de nos IGN 1/25000). Mais la plupart, du fait de l'exode rural et de la raréfaction des déplacements utilisant des animaux de bât, sont envahis par la végétation agressive qui les obstrue et rend la marche lente et difficile. Malgré cela les sentiers de Tinos offrent au promeneur leur diversité, leur beauté, leurs escaliers doux au pas, leurs dalles énormes posées là depuis des siècles par le labeur paysan. Marcher à Tinos est un plaisir en soi, plaisir physique auquel on peut relier la jubilation d'apprendre ! Les sentiers livrent l'accès à l'essentiel du patrimoine paysan de Tinos, aux terroirs, aux bâtiments de l'ancienne polyculture nourricière, aux églises rustiques : cultures en terrasse, olivettes, vignobles et jardins, plantations de mûriers, étables et bergeries, moulins à eau et surtout à vent, fontaines, réseaux d'irrigation, pigeonniers, aires à battre le blé, maisons temporaires utilisées par les paysans lors des gros travaux (katikiès), chapelles orthodoxes ou catholiques construites pour remercier Dieu de ses bienfaits. Ils relient entre eux les villages, tous différents et dont les édifices remarquables pourraient être commentés : maisons seigneuriales, églises, beaux tympans de marbre sur les maisons traditionnelles, fontaines publiques, etc. Ils donnent aussi accès aux richesse naturelles, filons de marbre, roches métamorphiques, rochers de granit érodés en boule, plantes aromatiques, chênes courbés par le vent, blés sauvages, myrtes et platanes orientaux. Et avec un peu de chance on lèvera un lièvre, des perdrix, des huppes fasciées ou l'on surprendra une chouette endormie, le tout sous le regard narquois des chèvres ! Découvrir Tinos par les sentiers suppose 3 opérations :
– leur dégagement et leur entretien, sans négliger le remontage des murs de pierre sèche éboulés ; cela suppose, après un première remise en état un travail de contrôle et de réparation continu ;
– leur balisage ou le complément de leur balisage et l'édition de cartes et d'itinéraires de type GR ou PR français et l'entretien de ce balisage ;
– l'information écrite et iconographique des points remarquables invitant à la découverte et à la compréhension de la nature et de l'agriculture des Cyclades, sans négliger l'approche anthropologique. Cette information, écrite en grec, français et anglais, pouvant être complétée par la lecture de QR codes, doit être portée par des supports à la fois solides, discrets et en consonance avec le milieu ; il n'est pas question d'imposer un commentaire, une vision magistrale prononcée ex cathedra mais de donner des clés de compréhension au visiteur afin qu'il devienne un acteur de sa visite. Je renvoie ici aux deux itinéraires que Sylvie et moi avons parcouru fin octobre 2016, l'ancienne voie vénitienne allant d'Exombourgo au port de San Niccolo (Chora actuelle) et le sentier Falatados – Manganari – Falatados. Le réseau des sentiers doit être matérialisé à Exombourgo par une structure porteuse des descriptions sommaires de ces itinéraires de découverte et d'indications pratiques, parking, niveau de difficulté, possibilités de restauration, points d'eau situés sur le sentier... Le nombre d'itinéraires possibles étant très important, il faut imaginer une montée en puissance faisant suite à l'information des 10 sentiers balisés existants et mentionnés par la carte Anavasi. Là aussi j'imagine cette structure en position d'accueil.
Le renvoi vers les partenaires
C'est le troisième pilier. Située elle aussi à Exombourgo, cette structure comparable aux deux premières devra donner une description sommaire de chaque collection, édifice ou pratique géré par un partenaire et des informations opérationnelles, horaires, téléphone, langue parlée, etc., le tout dans un souci de coopération et de valorisation mutuelles. Le lien avec le réseau des sentiers sera naturellement opéré : qui visitera les sites archéologiques d'Exombourgo se verra proposer un prolongement/approfondissement de sa visite in situ par un renvoi vers le musée archéologique de Chora ; le sentier Falatados – Manganari – Falatados permet la découverte d'un moulin à eau, l'information de ce moulin renverra vers des biotopes similaires conservés à Agapi ou à Perastra. ; les pigeonniers que l'on rencontre sur de nombreux itinéraires (Tinos en renferme un millier) renverront vers les vallées de pigeonniers valorisés et signalés de Tarampados ou d'Agapi.
Une gestion démocratique
Une toute petite équipe peut gérer une telle structure. Elle doit être encadrée par une association fonctionnant démocratiquement réunissant les responsables politiques (maire de Tinos et conseillers d'Exombourgo), un représentant du ministère grec de la culture, les partenaires conservant et valorisant édifices et/ou collections, les Jésuites propriétaires du sanctuaire d'Exombourgo. Ce conseil détermine la ligne culturelle de l'institution : expositions à envisager, sentiers à informer, partenariats à engager, communication. Il est habilité comme personne morale à solliciter des financements publics et privés. Cette association s'appuie sur un conseil scientifique consultatif composé d'érudits, d'universitaires et de professionnels du patrimoine.
Les enjeux
Comme il est écrit en préambule, Tinos est à la croisée des chemins. Pour se développer harmonieusement l'île peut adopter un modèle différent de celui de Myconos. Nos voisins de Siphnos et d'Andros toute proche ont parié sur le développement du tourisme pédestre. Sans dénaturer leur environnement, sans perdre leur âme pour une poignée d'Euros... Allons plus loin sur le sentier qui monte !
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