dimanche 3 janvier 2016

Que peut-on espérer du gouvernement Tsipras ?

Il y a 11 mois les Grecs élisaient leur parlement et donnaient à une force nouvelle, SYRIZA, une majorité d'élus. Un gouvernement de gauche radicale, présidé par Alexis Tsipras, accédait au pouvoir en Grèce et promettait au peuple de se battre pour casser le carcan de l'austérité toxique imposée par les créanciers. Un immense espoir soulevait le pays et débordait ses frontières. Le ministre des finances Varoufakis bousculait les concepts néo-libéraux et tentait de convertir ses collègues de l'Eurogroupe à une vision macro-économique ambitieuse.
Le printemps et l'été de 2015 ont vu tomber tous ces espoirs. Dans la nuit du 13 juillet, coincé entre la volonté du peuple grec de rester dans l'Euro, l'intransigeance des prêteurs et l'asphyxie de l'économie du pays, sciemment organisée, Alexis Tsipras cédait aux créanciers, acceptait globalement les politiques d'austérité et, plus grave encore, une véritable mise sous tutelle de la Grèce : toute décision coûteuse du gouvernement grec devant être soumise à l'approbation d'une troïka restaurée et renforcée !

Dans ces conditions, qu'attendre du deuxième gouvernement Tsipras ? Certes des escarmouches, comme lors du vote de la loi sur les saisies immobilières il y a quelques semaines. Mais rien de plus. Les prochaines empoignades seront pour le système des retraites qui est actuellement au bord de la faillite. Et pour le système de santé public, en ruine. Le gouvernement grec cédera sans doute sur tout, espérant que le rétablissement de la "confiance" fera revenir l'argent dans les banques et  permettra d'en finir avec le contrôle des capitaux...Et que la négociation sur la dette soit enfin ouverte, et que le pays puisse profiter de la politique de rachat de dettes nationales engagé par la BCE. Le gouvernement Tsipras se conduit et se conduira comme un simple gouvernement social-démocrate, gestionnaire de l'austérité, je pense.

Mais on peut encore espérer de ces nouveaux venus dans le paysage hellénique l'engagement d'une vigoureuse politique de réforme de l'Etat et notamment du système fiscal.
Il reste très difficile de fonder une entreprise en Grèce, à cause d'une réglementation tatillonne servie par des fonctionnaires peu compétents et peu zélés, ce qui encourage le travail au noir, peu contrôlé. Quant au système fiscal, le Français naïf que j'étais a ouvert de gros yeux en apprenant, puis en constatant que les plus riches ne payaient que très peu d'impôts. Présentement sont lourdement taxés les seuls salariés et retraités, dont les revenus sont faciles à contrôler.
Dans le contexte actuel, où peu de choses peuvent être obtenues des créanciers, j'espère voir le gouvernement Tsipras se lancer dans la construction d'un Etat juste

mercredi 23 décembre 2015

La distillerie de Skalados

Une présentation matérielle de ma petite distillerie d'huiles essentielles à Tinos manquait dans ce blog. Je vais y remédier.
L'atelier se trouve dans le katoï (salle de ferme à demi-enterrée) de la maison de Skalados, là où autrefois on entreposait les jarres d'huile d'olive, les tonneaux de vin et les céréales. Ce lieu sombre est propice à la production des huiles essentielles qui sont pour la plupart photosensibles.
On y trouve 5 alambics de 5 à 40 litres qui sont mis en oeuvre dans le cadre de stages de distillation de plantes sauvages ou que j'utilise pour ma production personnelle, pour les amis et la famille. Ces alambics de cuivre étamé sont chauffés au gaz sur de simples réchauds.

stages huiles essentielles a Tinos

stages huiles essentielles a Tinos



La condensation est assurée par des réfrigérants à serpentin alimentés par un courant d'eau.
Pour la production de concrètes, j'utilise un extracteur de Soxhlet et un chauffe-ballon. Le solvant employé est du raki (eau-de-vie locale bio) dont je rectifie le degré d'alcool.




Les distillats sont extraits dans des ballons de laboratoire pourvus d'un long bec verseur. Ce bec permet l'écoulement de l'huile essentielle grossièrement séparée de son eau florale en raison de la différence de densité entre les 2 produits.

stages huiles essentielles a Tinos

stages huiles essentielles a Tinos



L'huile essentielle peut couler directement dans l'ampoule à décanter, où sera effectuée la séparation définitive d'avec l'hydrolat ou bien être récupérée dans un becher gradué, ce qui permet de connaître précisément les quantités produites.

8 ampoules à décanter, de 250 ml à 1,5 l permettent de stocker les produits en attendant la mise en flacons de verre ambré, qui est opérée avec la pipette jaugée.






stages huiles essentielles a Tinos

On trouve aussi le matériel classique d'un labo : balance, erlenmeyer, ballons classiques, etc...et beaucoup de chiffons, de tuyaux et même une clé anglaise !

stages huiles essentielles a Tinos


Pour en savoir sur les stages d'auto-production d'huiles essentielles à Tinos suivez ce lien


mardi 22 décembre 2015

Racket en Slovénie...

...ou la vengeance est un plat qui se mange froid ! A l'automne de 2013 de retour de Tinos avec mon vieux Scudo je passe pour la première fois la frontière croato-slovène au poste de police d'Obrezje, sur la route européenne E70. Contrôle de papiers, pas de problème et je m'engage sur l'autoroute. Arrêt au portique de péage. Bizarre, pas de ticket à prendre ! Prudent, je m'arrête puis commence à reculer. Et de l'autre côté du portique on me fait des signaux avec une lampe torche (c'est la nuit). J'avance, passe le portique fatal et m'arrête devant un mi-flic, mi-employé de la société d'autoroute qui m'annonce en allemand que je n'ai pas le droit de circuler sans vignette et que je suis passible d'une amende de 300 EUR, réduite à 150 si je paie sur le champ ! Je lui fais remarquer que rien au poste frontière ne signale l'obligation de la vignette et que c'est lui, le gabelou, qui m'a engagé à pénétrer sur l'autoroute. Rien à faire, il menace d'immobiliser mon véhicule et je paie 150 EUR. Pendant ce temps son acolyte arrête un couple de Grecs, aussi innocent que moi et leur sert la même soupe. C'est bien de parler grec : j'ai pu expliquer aux nouvelles victimes de l'arnaque slovène ce qui leur arrivait et j'ai déversé sur les deux faux-culs toutes les injures dont j'ai connaissance dans la langue d'Homère. Ca soulage un peu ! Et je suis reparti vers Trieste, léger d'argent et crachant de l'encre.

vignette autoroutiere slovene

Cet année 2015, nous empruntons le même chemin en famille. Mais à Obrezje, Sylvie achète une vignette pendant que la police contrôle les papiers de la voiture. Mais nous ne collons pas la vignette sur le pare-brise et l'on s'engage sur l'autoroute, direction Ljubljana. A la deuxième chicane, coup de sifflet, un flic qui demande les papiers du véhicule, puis prononce la phrase fatidique "Kontrola vinjeta". Naturellement, je fais celui qui ne comprend rien et ne parle ni allemand ni anglais, seulement français mais je sors de ma poche au bout de quelques minutes la vignette en règle ! Et j'ai sauvé ainsi le plumage de quelques dizaines d'automobilistes-pigeons que le gabelou s'apprêtait à arnaquer. Il me rend la vignette en disant "stick it on the glass", ce que je fais de bonne grâce.

Amis lecteurs rappelez-vous de cette histoire si vous devez passer par là. Surtout achetez cette damnée vignette et ne contribuez pas en payant une amende disproportionnée à l'entretien d'un Etat voyou, la Slovénie.








samedi 19 décembre 2015

Stage huiles essentielles à Tinos

Fin mai 2015, j'ai reçu trois stagiaires professionnels de santé dans la distillerie de Skalados. Et nous avons vécu un stage lumineux ! Partage de connaissances, perspectives de collaboration et bien sûr cueillette et distillation de plantes sauvages étaient au rendez-vous.
Je profite des photogaphies d'Aline et d'Anne pour proposer dans ce blog un reportage sur ce stage où l'on a distillé de la Sarriette des montagnes et de l'Hélichryse microphyllum.

stage huiles essentielles a Tinos

Cueillette d'Hélichryse en boutons avancés sur le mont Kechrovouni

stage huiles essentielles a Tinos


L'Hélichryse doit être distillée au début de sa floraison. Il faut choisir des boutons prêts à éclore ou de jeunes fleurs et récolter tôt le matin afin que le soleil ne dessèche pas la plante.

stage huiles essentielles a Tinos


De retour à  la distillerie on étale la récolte sur des sacs pour que les fleurs ne fermentent pas et perdent un peu de leur humidité. On distillera après le repas et la sieste !

stage huiles essentielles a Tinos

stage huiles essentielles a Tinos
stage huiles essentielles a Tinos
Après avoir introduit 3 l d'eau dans la chaudière de l'alambic, on tasse 5 kg de fleurs d'Hélichryse dans le cylindre de l'alambic et on lute le chapiteau sur le cylindre avec une pâte faite de farine et d'eau. Ainsi on ne perdra la précieuse vapeur chargée de molécules aromatiques.

stage huiles essentielles a Tinos

On raccorde l'alambic à son réfrigérant, on installe le ballon florentin, et on met sur le feu. Lorsque les premières gouttes de distillat se présentent il faut baisser la flamme pour extraire les molécules les plus légères, puis augmenter très graduellement la température et la pression pour obtenir les molécules plus lourdes. Au bout de deux heures environ la distillation par entraînement à la vapeur d'eau sera complète.

stage huiles essentielles a Tinos
L'huile essentielle - ici de l'huile de Sarriette - forme une couronne autour du ballon. La phase inférieure est l'hydrolat ou eau florale.

stage huiles essentielles a Tinos

stage huiles essentielles a Tinos

L'huile essentielle monte dans le col du ballon. Pour la recueillir on glisse une ampoule à décanter sous le bec du ballon. L'hydrolat qui possède aussi des propriétés intéressantes sera prélevé à part.











Voilà le résultat : une trentaine de millilitres

stage huiles essentielles a Tinos

Enfin il faut embouteiller le précieux liquide dans des flacons de verre ambré.



stage huiles essentielles a Tinos
Et ce jour là, la nature nous a fait une chouette surprise !







Merci à Aline, Anne et Christine de m'avoir autorisé à publier leurs photos.



Pour plus d'information sur les stages de distillation suivez ce lien

jeudi 17 décembre 2015

Grèce : le feuilleton de l'été

Premier article depuis le retour du blogueur en Gaule ! Naturellement il est consacré à la crise du printemps et de l'été 2015.
Rappelons nous de la situation au mois d'avril : en substance il s'agissait pour l'Eurogroupe de tordre le bras du premier ministre grec, issu de Syriza, pour qu'il aligne sa politique sur celle de son prédécesseur de Nouvelle Démocratie et inscrive dans la durée en Grèce l'austérité et ses corollaires, hausse des impôts, baisse des retraites et des salaires, instauration d'un Etat minimal. Le tout contre les 7 milliards restant à verser du deuxième plan d'aide et des promesses de réexamen de la dette.


Petit à petit le gouvernement grec s'est retrouvé dans les cordes, étranglé par les échéances de la dette du mois de juin. Il fallait alors soit renoncer à payer salaires des fonctionnaires et retraites, soit ne pas honorer la dette, notamment vis à vis du FMI, choix qui a été opéré. Le tout a été aggravé par la décision vraiment politique de la BCE qui s'est mise à limiter les crédits accordés au pays et a provoqué en retour des retraits massifs de liquidités par les déposants, mettant en danger l'existence des banques ! Le garrot était alors serré au maximum.
Les "lignes rouges" du gouvernement grec ont commencé à bouger le 24 juin : un rapprochement de ses positions avec celles de l'Eurogroupe s'est esquissé. Tsipras a proposé des hausses d'impôts pour les plus riches et l'augmentation de la TVA, passant à 23 %, une baisse des crédits militaires. Un accord a été envisagé, aussitôt torpillé par le FMI qui a adopté une position de classe : toucher aux riches serait une mesure qui favoriserait la récession, mieux vaut donc poursuivre l'étranglement des pauvres et réduire les dépenses ! Pendant ce temps, à Tinos, l'église orthodoxe servait des soupes populaires aux retraités !
Pas d'accord donc, ce qui a imposé le contrôle des capitaux et trois semaines de fermeture pour les banques aux abois. Le ministre Varoufakis a préparé alors l'édition d'une monnaie de nécessité, des reconnaissances de dette libellées en Euros, un cauchemar pour la Chancelière !
Alexis Tsipras a décidé d'en appeler au peuple. Les Grecs ont été invités à se prononcer sur la poursuite de l'austérité le 5 juillet. Austérité qu'ils ont repoussé à une large majorité (61 %), ce qui n'a pas empêché les créanciers de rester sourds à la voix populaire.


Restait à se soumettre ou à se démettre. Ioannis Varoufakis démissionnait le lendemain du référendum tandis qu'Alexis Tsipras, "coaché" par Hollande - qui a dû avoir bien peur pour la dette de la France - est allé à Canossa. Un accord était conclu le 13 juillet dans une ambiance exécrable. Une reddition sans conditions ! Privatisations, hausse des impôts indirects, réduction des retraites, le tout assorti d'un contrôle tatillon, contre le maintien dans l'Euro, la perspective d'un troisième plan d'aide et comme toujours de vagues promesses concernant la dette ! Retour de la Grèce à la case départ, comme si les élections de janvier et le référendum de juillet 2015 n'avaient pas existé. Comme si cette politique n'avait pas mené le pays à la catastrophe.
Syriza s'est scindé et Tsipras a dû accepter des soutiens à droite pour voter les premières mesures exigées par les créanciers. Cette ouverture à droite s'est trouvée confirmée par les résultats des élections anticipées du 20 septembre. Pour l'Eurogroupe la situation grecque est désormais sous contrôle.

Défaite de la gauche grecque qui chausse les bottes de ses adversaires, certes, mais aussi de l'Europe, qui a prouvé à la face du monde qu'elle se moquait du suffrage populaire, que sa solidarité ne pesait guère face aux marchés financiers, qui au reste ne se gêneront pas pour attaquer tout pays - même l'Italie, même la France, étonnamment aveugle ou complaisante - ayant des difficultés avec sa dette. Une Europe de la coercition.


J'ai rêvé d'Europe dans les années 90. Mon rêve a achevé de se briser dans la nuit du 12 au 13 juillet 2015 avec les vociférations du ministre allemand Schäuble.









vendredi 27 mars 2015

Le garrot européen

A quoi se résument depuis le 20 février les Eurogroupes, mini-sommets consacrés à la situation grecque et autres pantalonnades médiatiques ?
A un impératif politique absolu : faire plier le gouvernement Tsipras, rendre impossible la réalisation du programme sur la base duquel le peuple grec l'a porté au pouvoir en janvier de cette année. Donc nier sans l'exprimer le principe de la souveraineté du peuple.

Pourquoi ? Les Grecs ont été les premiers, et hélas encore les seuls, à refuser clairement les mesures de déflation interne imposées par la Troïka. S'ils se libéraient  réellement de ce carcan ils feraient école ailleurs en Europe, en Espagne et au Portugal notamment . D'où les cris d'orfraie identiques de MM. Rajoy et Coelho,  le premier de droite, le second  soi-disant socialiste, unis dans le chaste noeud du falsoculisme, avec la chancelière en seconde ligne ! Il faut que Tsipras échoue à tout prix ou presque.

Comment y parvenir ? La solution vient aussi d'Espagne : le vieux garrot du général Franco ! Garrotter financièrement la Grèce en ne lui versant pas l'argent qui lui a été promis c'est empêcher Tsipras de réussir et prouver aux peuples qui souffrent qu'il n'existe pas d'alternative à la domination de l'Europe par les conservateurs allemands.
Tsipras est coincé entre les exigences légitimes de son peuple et la nécessité de maintenir son pays dans l'Euro. Donc l'Eurogroupe exige des réformes pour libérer les fonds qu'il gèle, mais refuse la réforme fiscale profonde proposée par le gouvernement grec et jugée ridicule à Bruxelles. L'Eurogroupe exige de Tsipras qu'il chausse les bottes de son prédécesseur Samaras et prenne de nouvelles mesures d'austérité : hausse de la TVA et assouplissement des procédures de licenciement. Et puisque Tsipras fait la sourde oreille, on attend que le bourreau serre la vis du garrot. Le bourreau, c'est la dette qu'il faut rembourser.



A un instant d'expirer - de faire défaut sur une échéance, donc de sortir de l'Eurozone en déclenchant un crise ravageuse - on trouve 2 milliards et on laisse souffler le condamné.

Ca va durer longtemps ?


samedi 21 mars 2015

Tinos vue par Choiseul-Gouffier en 1781

Autre temps, autre sensibilité ! Le diplomate et antiquaire Marie-Gabriel de Choiseul-Gouffier (1752 -1817) visite la Grèce à la fin des années 1770. Son périple lui permet d'écrire Le Voyage pittoresque de la Grèce, dont le premier tome, richement illustré, parait en 1782. Le futur ambassadeur de Louis XVI à Constantinople y brosse le portrait d'un Grèce idéalisée, aspirant sous le joug ottoman à recouvrer sa liberté. Le comte de Choiseul-Gouffier, pré-romantique, jette un pont entre les Lumières et le philhellénisme des élites européennes des années 1820.


 Voici les textes et les estampes qu'il consacre à Tinos, tirés de Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF.

p. 44 et sq.

Les femmes de l’île de Tine ont toutes les plus belles proportions dans les formes, de la régularité dans les traits & une physionomie piquante qui supplée souvent à la beauté & y ajoute toujours. L’habillement le plus voluptueux couvre leurs charmes sans les cacher.
Le commerce et l’industrie répandent dans cette île une aisance générale et une sorte d’égalité qui, sans confondre les classes de citoyens, empêchent les uns de se corrompre et les autres de s’avilir. Les femmes que dans d’autres climats, leur richesse où leur naissance sembleraient autoriser à l’inutilité, ne dédaignent point de s’occuper des détails intéressants de leurs ménages et travaillent avec plaisir aux vêtements que leurs enfants doivent porter. Dès que la chaleur tombe et que le soleil sur son déclin peut encore éclairer leurs travaux sans pouvoir nuire à leurs charmes, elles sortent de leurs maisons, s’asseyent devant leurs portes, filent la soie ou la dévident ; d’autres la tricotent ou préparent les feuilles de mûrier, pendant que leur vieille mère fait des contes, souvent interrompus par les chansons des jeunes filles. Je crus alors pour la première fois que les tableaux délicieux que nous offrent les auteurs grecs étaient moins l’ouvrage de leur imagination qu’une fidèle imitation de la nature.
Le travail facile et peu pénible auquel sont employées les servantes de l’île de Tine leur permet de conserver tous leurs agréments. Elles n’ont d’autre occupation que filer la soie ou de nourrir les insectes qui la produisent. Aussi voit-on régner partout cette propreté qui fait tant plaisir au voyageur, parce qu’elle est un gage certain du bonheur du peuple et qu’elle suppose toujours la facilité à se procurer les premiers besoins. L’heureux citoyen de la Hollande annonce son opulence par la simplicité de son extérieur. Le sujet de l’Espagne & de l’Italie couvre sa misère de lambeaux dorés. Les habitants de Tine sont assez riches pour n’être pas réduits à désirer le paraître.


L’amour de la patrie conservé chez tous les Grecs insulaires a encore plus de force chez les habitants de l’île de Tine. Les servantes qui en sortent en grand nombre et qui sont connues dans tout le Levant par leur habillement, leur fidélité et leur intelligence, ne perdent jamais le désir de revoir leur patrie et de venir y jouir d’une aisance qu’elles doivent à leur industrie. Le patriotisme des Tiniotes a déjà été remarqué par M. Guys, que des connaissances étendues et un long séjour dans la Grèce ont mis à portée de donner un parallèle intéressant des Grecs anciens et des Grecs modernes.



Suivant Etienne le géographe, l’île de Ténos retint le nom de celui qui s’y installa le premier. Bochart au contraire veut qu’il dérive du mot phénicien Tannoth, serpent ou dragon. En effet tous les historiens s’accordent à dire que cette île était remplie de serpents ; elle prit même le nom d’Ophiussa et donna dans la Grèce à la vipère celui de Taenia. Ils étaient si abondants et si dangereux que les habitants auraient été obligés de l’abandonner si Neptune n’était venu à leur secours et ne les en eût délivrés. Ils lui élevèrent un temple magnifique, dans un bois, près de la ville de Ténos. Ce dieu y était honoré comme un grand médecin et l’on y célébrait des fêtes en son honneur. Ce temple avait des droits d’asile fort étendus, qui furent depuis réglés par Tibère, ainsi que ceux dont jouissaient tant de lieux de la Grèce.
Tine est de toutes les conquêtes des Vénitiens dans l’archipel celle dont ils on joui le plus longtemps. Ils ne l’ont perdue qu’en 1714, par la faiblesse du Provéditeur Bernardo Balbi, qui se rendit à la première sommation de l’amiral turc, quoi qu’il eût pu trouver dans la valeur de ses soldats & dans la bonne volonté des habitants un secours suffisant pour atteindre les secours que la République lui envoyait.
Cette île est une des plus riches et des plus agréables de toute la Grèce & son peu d’étendue est réparé par sa fertilité. Elle n’a que 12 lieues de circuit & près de 20 000 habitants y sont répartis dans 60 villages ou hameaux. Quoique l’île produise une grande quantité de soie elle ne suffit pas à leur industrie ; ils en tirent encore de celle d’Andros & en fabriquent des bas dont ils fournissent tout le Levant.


A une lieue et demi de San-Nicolo est l’ancienne citadelle construite par les Vénitiens. Elle est située sur une haute montagne d’où l’on découvre presque toute l’île. C’est un tableau délicieux où tout annonce l’industrie des habitants & où tout parait assurer leur bonheur. Aucun officier turc ne leur rappelle l’idée d’un maître, & gouvernés par des magistrats de leur choix, ils semblent n’obéir qu’à eux-mêmes. La vieillesse n’a point perdu tous ses droits dans la Grèce. Ces magistrats portent le nom de Vieillards, quoiqu’ils ne le soient pas toujours & le jeune homme est flatté de voir ajouter à la considération que donnent les dignités, la déférence que la nature réclame pour la vieillesse. Ces insulaires m’on paru heureux, éloigné du despote & ne s’apercevant de leur servitude qu’un seul jours dans l’année, il leur est presque permis de se croire libres.



Tinos est un paradis en cette fin de 18e siècle ! La fin de la domination vénitienne a en effet signifié, après les terreurs consécutives à la reddition d'Exombourgo, la fin de la piraterie turque, la fin du régime de l'exclusif qui unissait étroitement l'île à son ancienne métropole, la fin du régime féodal. Tous ces facteurs se sont conjugués pour favoriser l'industrie de la soie. Tinos s'est ouverte au commerce d'Orient comme au commerce d'Occident, enrichissant ses habitants, développant son port et son rôle d'escale entre Marseille et Smyrne. A cela s'ajoute l'éloignement du pouvoir ottoman : les Turcs se montrent une fois l'an pour percevoir l'impôt des infidèles, le karadj et les tributs dus aux grands personnages, laissant les Tiniotes s'administrer eux-mêmes, par leurs Vieillards.
L'île atteint alors une grande population et une grande richesse, 20 000 habitants, 60 villages, elle est plus imposée que sa grande voisine de Naxos !
N'oublions pas toutefois la tendance de l'auteur à idéaliser la Grèce.

Dans la petite ville de San Nicolo, aujourd'hui Chora, dont le port se résume à une plage protégée, on peut reconnaître quelques bâtiments toujours présents de nos jours. Sur la première estampe (vue du Couchant), on distingue sans peine la vieille église catholique de saint Nicolas et son haut clocher dont la flèche porte à ses quatre angles une fleur de lys, à sa droite l'église orthodoxe de la Panagia Malamaténia, enfin, tout à gauche et face à la mer les grandes arcades de l'actuel café Koursaros. La vue du Levant est prise depuis le cap qui porte maintenant le monument de l' Elli. Outre saint Nicolas, on découvre une autre église orthodoxe, peut être celle des Trois Hiérarques, et tout au fond, à Pallada, le bâtiment du lazaret (où était effectuée la quarantaine des marins suspects de peste) qui se dresse toujours face au site de l'actuel petit marché.


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