jeudi 28 janvier 2016

Stigmatiser la Grèce...

...Et son gouvernement si irritant ! Voilà l'aboutissement de la crise des migrants, dont un million serait passé dans l'UE via la Grèce en 2015. D'après le commissaire européen Valdis Dombrovskis, la Grèce a sérieusement négligé ses obligations, il y a de graves déficiences aux frontières extérieures qui doivent être surmontées. 
Et de critiquer le mauvais enregistrement des réfugiés, en oubliant les nombreux sauvetages effectués par les gardes-côtes (Limeniko soma) et les pêcheurs de Mytilène !



Ces propos, basés sur une évaluation de Frontex datée de novembre 2015 ouvrent la voie à une sorte de mise en quarantaine de la Grèce, qui pourrait se trouver placée temporairement hors de l'espace Schengen, avec à la clé des tracasseries aux frontières bien désagréable, et un impact sur l'activité touristique, une des richesses du pays qui représente le cinquième de son PIB ! Pire, si les arrivées de migrants se poursuivent massivement, ils resteront bloqués en Grèce sans issue aucune, l'Albanie et la Macédoine pouvant fermer militairement leurs frontières. La chose est déjà faite en Bulgarie.

Tout est de la faute des Grecs, évidemment, mal organisés, feignants, de gauche, à punir. Il faut retirer des yeux de  M. Dombrovskis les peaux de saucisson qui les obstruent et lui fournir des éléments lui permettant d'affiner son analyse.
Depuis 2010, chacun le sait, la Grèce subit l'austérité imposée par les diktats d'une troïka inhumaine et rapace, véritable Léviathan du peuple grec. L'austérité a entraîné une baisse drastique de la dépense publique et la désorganisation d'un Etat déjà faible. La géographie du pays est ce qu'elle est : il y a en Grèce des milliers de km de côtes et des îles comme Mytilène, Chios, Samos, Léros, Kos situées à peu de distance de la Turquie. L'ignoble guerre de Syrie enfin, à laquelle nul n'est foutu de mettre un terme a fait le reste lançant sur la mer des milliers de réfugiés désemparés.

Mais voilà une nouvelle occasion pour le gouvernement allemand, ses satellites d'Europe centrale et ses séides de la commission européenne de stigmatiser la Grèce, cette supposée passoire à pauvres !

Que l'on aide la Grèce, massivement, à résoudre le problème dans la dignité et l'humanité, et qu'on cesse de la dénigrer. Je gage que si les amis de la Chancelière étaient au pouvoir à Athènes une réaction plus solidaire aurait prévalu.
Au fait, bizarre, lorsque nous traversons la frontière gréco-macédonienne, nous sommes toujours contrôlés sérieusement, avec interrogation de bases de données. Bizarre vous dis-je.





samedi 16 janvier 2016

Monastères de Macédoine et de Serbie

Aller de Grèce en France en voiture par l'excellente autoroute des Balkans en traversant la Macédoine (FYROM) et la Serbie permet la découverte de richesses touristiques mal connues : villages traditionnels, bazars d'époque ottomane, villes où voisinent églises et mosquées turques avec leur haut minaret à toit pointu, forteresses, monastères orthodoxes médiévaux.

On rencontre peu de visiteurs étrangers. Malgré des paysages superbes et l'abondance des centres d'intérêt les pays balkaniques sont hors des circuits du tourisme international.

L'histoire récente de l'ex-Yougoslavie nous a parfois interpellés. Mitrovica, Sarajevo, Osijek évoquent les horreurs des années 1990 et les tensions nationales et religieuses ne sont pas toutes apaisées : il est très difficile de pénétrer au Kosovo et au printemps 2015 des miliciens albanais ont tenté un coup de force sur la ville de Kumanovo qui s'est soldé par 22 victimes... Mais nous n'avons rencontré que des gens accueillants.

Ceci étant écrit nous avons décidé de visiter Ohrid en Macédoine et les monastères de la Raska et de la vallée de l'Ibar en Serbie du sud. C'est là que se trouvent les vestiges des royaumes médiévaux de Bulgarie et de Serbie. Ces Etats se sont dégagés de la tutelle de Byzance du 10e au 12e siècle puis ont été détruits par les Ottomans entre le 14e et le 15e siècle. La célèbre bataille de Kosovo, qui voit tomber le roi serbe Lazar et le sultan Mourad date de 1389.

Première étape Ohrid, ville magnifiquement située au bord du lac Prespa du nord et dominée par la forteresse du tsar bulgare Samuel.
C'est d'Ohrid, toute proche de la Grèce, que les moines Cyrille et Méthode sont partis évangéliser les peuples slaves. D'où l'alphabet cyrillique. La ville est à l'origine du patriarcat bulgare. Son premier titulaire est saint Clément.
La ville et ses environs renferment deux sites majeurs, la monastère se Saint-Naum et l'église Saint-Jean de Kaneo, de petites églises byzantines, un musée d'icônes et un musée ethnographique installé dans une vieille demeure patricienne, la maison Robev. Les maisons de pierre et de bois sont semblables à celles de la Grèce du nord. Moins de décoration peinte toutefois.


la maison Robev
Coffres traditionnels dans la maison Robev


Saint-Naum

Ville et lac d'Ohrid
Saint-Jean de Kaneo


































Il est facile de loger à Ohrid à la fin d'octobre du moins !

Départ pour la Serbie après une brève visite de la mosquée peinte de Tetovo et une nuit à Kumanovo. Je recommande l'hôtel Satellit et le restaurant Baba Caga, gastronomique. En Serbie nous nous installons près de Kraljevo à au centre de la région des monastères. Le lendemain visite de Zica, premier siège de l'église autocéphale de Serbie (1208). Les souverains serbes y étaient couronnés.

Monastère de Zica



Fresque à Zica

Fresques admirables ! C'est Byzance !

Nous gagnons ensuite le monastère fortifié de Studenica, construit à la fin du 12e par le premier roi serbe, Stefan Nemanja. Les deux églises sont entourées par une puissante enceinte garnie de tours. On retrouvera cette disposition ailleurs.

Monastère fortifié de Studenica

Le roi fondateur Stefan Nemanja 
Le lustre de Studenica évoque les couronnes votives  germaniques


Aprés Studenica, arrêt au monastère rustique de Stara Pavlica, Fresques de qualité, architecture et sculpture à l'avenant et le charme d'une église rurale, couverte de tapis locaux, sentant l'encens. On adore !
















Stara Pavlica

Route vers Novi Pazar - une ville proche du Kosovo à forte minorité musulmane - et c'est le dernier monastère de la journée, Sopocani. Fondé en 1260, fortifié comme Studenica, on y découvre une admirable fresque représentant la Dormition de la Vierge. Hélas plus assez de lumière pour la photographier.


Sopocani



Le lendemain il nous faut prendre la route vers Belgrade et Trieste. On ne peut s'arrêter qu'à Ravanica, dans la vallée de la Morava. Ce monastère du 14e siècle, époque dite du Despotat, lorsque le roi serbe était vassal du sultan, présente une architecture très raffinée et de merveilleuses fresques. Il est puissamment fortifié et abrite la tombe du roi Lazar, mort lors de la bataille de Kosovo.




Ravanica


Les monastères de Lesnovo en Macédoine et de Miliseva tout près du Monténégro seront mis au programme d'un autre voyage balkanique !


Si vous souhaitez approfondir, visitez le site de l'office du tourisme de Serbie: http://www.serbie.travel/culture-fr/monasteres/



lundi 11 janvier 2016

Ce qui ne va pas en Grèce

J'aime la Grèce au point d'y vivre et d'y travailler une partie de l'année. Et j'aime le peuple grec qui m'a donné de nombreux amis sincères et fidèles. Toutefois ma situation de semi-expatrié et la crise ouverte dans laquelle le pays est plongé depuis 2008 m'invitent à exprimer ce qui, à mon sens et vu de mon île de Tinos, ne fonctionne pas ou mal en Grèce. Je prendrai pour ce faire des exemples concrets, en racontant des faits où j'ai été personnellement acteur ou bien des situations dans lesquelles des proches se sont trouvés mêlés. Enfin j'organiserai mon propos autour de thèmes directeurs : conservatisme, chacun pour soi, refus de l'Etat, corruption, bureaucratie.

Conservatisme
Tinos vit de son pèlerinage célèbre, d'un peu de tourisme l'été, d'agriculture, surtout vivrière, et avant la crise la construction était une activité importante. Le rêve de beaucoup est le retour pur et simple aux années de prospérité 2000 - 2008, lorsque les maisonnettes poussaient comme des champignons à Porto ou à Triandaros ! Soyons réalistes : il faudra beaucoup de temps pour que le pouvoir d'achat des Athéniens soit restauré et qu'ils se remettent à acheter des maisons de week-end à Tinos. Il faudrait trouver de nouvelles voies de développement pour l'île : tourisme durable, promotion des excellents produits agricoles locaux, essai de nouveaux produits ou de nouvelles techniques. Malgré quelques initiatives (plantation de cépages nobles, essais de culture de capriers, d'aloès), ces voies restent très peu explorées. Lorsque j'ai débuté mon activité de maître de stages de distillation de plantes sauvages, tout le village de Skalados ou presque m'a pris pour un gentil fada, les huiles essentielles n'appartenant pas à la tradition locale. Lorsque je plante dans mon jardin des variétés de tomates françaises ou des courgettes italiennes, je me heurte à la méfiance : ces légumes ne sont pas d'ici, ils ne pousseront pas. Et que dire du voisin d'un de mes amis qui a pour principe, en dépit d'un climat très changeant, de vendanger sa vigne systématiquement le 7 septembre parce que son père faisait ainsi et que le père de son père faisait ainsi ! Certes la tradition permet à l'homme de se situer dans une perspective culturelle, mais elle peut devenir un boulet que l'on traîne et s'opposer gravement à l'innovation créatrice.
Attention enfin, si vous réussissez, on va vous imiter !

Chacun pour soi
J'ai envie de rajouter et Dieu pour tous, puisque les non pratiquants, orthodoxes ou catholiques sont peu nombreux. Mais que penser du voisinage entre une rutilante Porsche Cayenne coûtant 150 000 EUR et un pauvre véhicule vieux de 20 ans ou plus dont les plaques d'immatriculation ont été retirées suite à l'impossibilité pour son propriétaire de payer la vignette auto... Cette scène, dans une rue de Krokos, aurait mérité une photo. Autre exemple : deux gréco-américains originaires de Tinos se baladent dans les villages avec une énorme Ford mustang décapotable. Ils ne parlent qu'anglais - la langue de la réussite - avec l'accent yankee, font tout pour montrer qu'ils regorgent de dollars et sont l'objet de la vénération universelle.  Oui, en Grèce l'extrême pauvreté (des retraites paysannes à 200 EUR mensuels) voisine avec l'opulence ostentatoire de quelques uns et c'est très choquant. Lorsqu'on rencontre un problème économique, on se tourne d'abord vers sa famille et on se soumet, on ne cherche pas à exiger davantage de justice sociale. Parfois on entre dans la clientèle d'un puissant ou supposé l'être.

Refus de l'Etat
Sans doute la petite Grèce n'a pas réussi à atteindre les objectifs qu'elle s'était fixée aux 19e et 20e siècles, la restauration de l'Empire de Byzance pour faire simple, sans doute est-elle restée à bien des égards un morceau de l'empire ottoman (cadastre ou rôle des clientèles par exemple). Et les Grecs en ont conçu de l'amertume. Tout de même, La Grèce existe depuis 1830 sur la scène internationale et a su générer des hommes d'Etat de premier plan, comme le grand Crétois Venizelos ou repousser l'agression fasciste de 1940. Malgré cela, on peut aujourd'hui écrire comme il y a 100 ans que l'Etat grec est à construire à partir de la base, la collecte de l'impôt, acquise en France depuis le 17e siècle. Le nouvel impôt foncier (EMFIA), qui frappe toutes les propriétés dans un esprit de justice (mais il y a des bavures) est appelé kharadj par les contribuables. Savez-vous ce qu'est le kharadj ? Un impôt discriminatoire perçu par le pouvoir ottoman et reposant sur les seuls Chrétiens afin de racheter leur exemption du service armé. Lorsque je travaillais en France, j'étais conservateur de bibliothèque, terme que le dictionnaire de Mirambel traduit d'une manière erronée par éphoros. En grec moderne, l'éphore, c'est le percepteur, le phoros, autrefois le tribut, c'est l'impôt. Pensant que j'étais en France un collecteur d'impôt, mes voisins de Skalados ont, pour rire bien sûr, aiguisé leurs couteaux... Le refus de l'impôt empêche la constitution d'un Etat juste et concentre le fardeau fiscal sur ceux qu'il est facile de contrôler, les salariés, les retraités. Il faut rompre ce cercle et faire payer les possesseurs de Porsche Cayenne. Je renvoie à l'excellent roman de  Pétros Markaris, Le Justicier d'Athènes.

Corruption et arbitraire
Je n'ai jamais été directement confronté à des fonctionnaires corrompus, mais j'ai peur  ! Un ami, acheteur il y a quelques années d'une maison paysanne à Tinos, a dû attendre 5 ans son permis de rénover : une commission, en préfecture à Syros, lui réclamait sans cesse des documents nouveaux ou faisait la morte des mois durant. Peut-être voulaient-ils quelques billets dans une enveloppe. Le problème a trouvé une solution rapide dans le cadre d'une plainte devant la cour européenne des droits de l'homme. Le service des permis de conduire de Syros était corrompu et son directeur a connu des ennuis judiciaires. Obtenir un permis était simple : il fallait glisser une enveloppe bien garnie dans les mains de l'inspecteur. Je tremble enfin devant l'arbitraire : un fonctionnaire grec peut causer de très graves ennuis à un homme honnête et les recours sont bien compliqués.

Bureaucratie
Cet Etat mal construit souffre de sa bureaucratie. J'ai eu besoin au printemps 2015 d'une traduction officielle de pièces concernant ma petite entreprise. J'ai confié l'opération à un avocat qui  a adressé les pièces au ministère des affaires étrangères à Athènes et m'a demandé d'avancer les frais de traduction. Un mois, 2, 3 mois passent, toujours rien. En septembre, l'avocat me téléphone : les documents lui ont été retournés non traduits car il manque l'apostille qui les authentifie. Me voilà donc renvoyé vers le tribunal de commerce dont je dépends en France. Et pourtant ce sont bien les documents originaux que j'ai transmis ! Dites-moi comment entreprendre dans ces conditions ! Indirectement, c'est encourager le travail au noir. Au reste c'est ce type de travail qui permet à beaucoup de Grecs de vivre.

Un héritage de l'histoire
J'y pense sans cesse : la Grèce, ottomane du 15e au 19e siècle n'a pu connaître ces grandes sources de l'esprit critique qu'ont été la Renaissance et surtout les Lumières. L'Eglise, non séparée de l'Etat y est omniprésente, véhiculant une tradition parfois anti-occidentale et conformiste. Les Ottomans ont cristallisé corruption et clientélisme (il existe toujours dans certaines régions un vote de clientèles). Enfin les rois du 19e étaient des étrangers, Bavarois puis Danois, mal ressentis par le peuple : ils ont construit un rêve néoclassique et un parlementarisme de façade. Le peuple est resté étranger à tout cela enfermé dans des mentalités qu'un historien français peut qualifier d'ancien régime.
Je pense que le gouvernement Tsipras, mis en tutelle par les créanciers du pays, doit s'attaquer courageusement à la réforme de l'Etat, dans une optique d'aggiornamento : justice fiscale, lutte contre les corrompus et les bureaucrates, encouragements à l'innovation. Cette réforme coûte peu. Voici la tâche d'un gouvernement d'hommes neufs : reconstruire un Etat juste qui saura être populaire.

dimanche 3 janvier 2016

Que peut-on espérer du gouvernement Tsipras ?

Il y a 11 mois les Grecs élisaient leur parlement et donnaient à une force nouvelle, SYRIZA, une majorité d'élus. Un gouvernement de gauche radicale, présidé par Alexis Tsipras, accédait au pouvoir en Grèce et promettait au peuple de se battre pour casser le carcan de l'austérité toxique imposée par les créanciers. Un immense espoir soulevait le pays et débordait ses frontières. Le ministre des finances Varoufakis bousculait les concepts néo-libéraux et tentait de convertir ses collègues de l'Eurogroupe à une vision macro-économique ambitieuse.
Le printemps et l'été de 2015 ont vu tomber tous ces espoirs. Dans la nuit du 13 juillet, coincé entre la volonté du peuple grec de rester dans l'Euro, l'intransigeance des prêteurs et l'asphyxie de l'économie du pays, sciemment organisée, Alexis Tsipras cédait aux créanciers, acceptait globalement les politiques d'austérité et, plus grave encore, une véritable mise sous tutelle de la Grèce : toute décision coûteuse du gouvernement grec devant être soumise à l'approbation d'une troïka restaurée et renforcée !

Dans ces conditions, qu'attendre du deuxième gouvernement Tsipras ? Certes des escarmouches, comme lors du vote de la loi sur les saisies immobilières il y a quelques semaines. Mais rien de plus. Les prochaines empoignades seront pour le système des retraites qui est actuellement au bord de la faillite. Et pour le système de santé public, en ruine. Le gouvernement grec cédera sans doute sur tout, espérant que le rétablissement de la "confiance" fera revenir l'argent dans les banques et  permettra d'en finir avec le contrôle des capitaux...Et que la négociation sur la dette soit enfin ouverte, et que le pays puisse profiter de la politique de rachat de dettes nationales engagé par la BCE. Le gouvernement Tsipras se conduit et se conduira comme un simple gouvernement social-démocrate, gestionnaire de l'austérité, je pense.

Mais on peut encore espérer de ces nouveaux venus dans le paysage hellénique l'engagement d'une vigoureuse politique de réforme de l'Etat et notamment du système fiscal.
Il reste très difficile de fonder une entreprise en Grèce, à cause d'une réglementation tatillonne servie par des fonctionnaires peu compétents et peu zélés, ce qui encourage le travail au noir, peu contrôlé. Quant au système fiscal, le Français naïf que j'étais a ouvert de gros yeux en apprenant, puis en constatant que les plus riches ne payaient que très peu d'impôts. Présentement sont lourdement taxés les seuls salariés et retraités, dont les revenus sont faciles à contrôler.
Dans le contexte actuel, où peu de choses peuvent être obtenues des créanciers, j'espère voir le gouvernement Tsipras se lancer dans la construction d'un Etat juste

mercredi 23 décembre 2015

La distillerie de Skalados

Une présentation matérielle de ma petite distillerie d'huiles essentielles à Tinos manquait dans ce blog. Je vais y remédier.
L'atelier se trouve dans le katoï (salle de ferme à demi-enterrée) de la maison de Skalados, là où autrefois on entreposait les jarres d'huile d'olive, les tonneaux de vin et les céréales. Ce lieu sombre est propice à la production des huiles essentielles qui sont pour la plupart photosensibles.
On y trouve 5 alambics de 5 à 40 litres qui sont mis en oeuvre dans le cadre de stages de distillation de plantes sauvages ou que j'utilise pour ma production personnelle, pour les amis et la famille. Ces alambics de cuivre étamé sont chauffés au gaz sur de simples réchauds.

stages huiles essentielles a Tinos

stages huiles essentielles a Tinos



La condensation est assurée par des réfrigérants à serpentin alimentés par un courant d'eau.
Pour la production de concrètes, j'utilise un extracteur de Soxhlet et un chauffe-ballon. Le solvant employé est du raki (eau-de-vie locale bio) dont je rectifie le degré d'alcool.




Les distillats sont extraits dans des ballons de laboratoire pourvus d'un long bec verseur. Ce bec permet l'écoulement de l'huile essentielle grossièrement séparée de son eau florale en raison de la différence de densité entre les 2 produits.

stages huiles essentielles a Tinos

stages huiles essentielles a Tinos



L'huile essentielle peut couler directement dans l'ampoule à décanter, où sera effectuée la séparation définitive d'avec l'hydrolat ou bien être récupérée dans un becher gradué, ce qui permet de connaître précisément les quantités produites.

8 ampoules à décanter, de 250 ml à 1,5 l permettent de stocker les produits en attendant la mise en flacons de verre ambré, qui est opérée avec la pipette jaugée.






stages huiles essentielles a Tinos

On trouve aussi le matériel classique d'un labo : balance, erlenmeyer, ballons classiques, etc...et beaucoup de chiffons, de tuyaux et même une clé anglaise !

stages huiles essentielles a Tinos


Pour en savoir sur les stages d'auto-production d'huiles essentielles à Tinos suivez ce lien


mardi 22 décembre 2015

Racket en Slovénie...

...ou la vengeance est un plat qui se mange froid ! A l'automne de 2013 de retour de Tinos avec mon vieux Scudo je passe pour la première fois la frontière croato-slovène au poste de police d'Obrezje, sur la route européenne E70. Contrôle de papiers, pas de problème et je m'engage sur l'autoroute. Arrêt au portique de péage. Bizarre, pas de ticket à prendre ! Prudent, je m'arrête puis commence à reculer. Et de l'autre côté du portique on me fait des signaux avec une lampe torche (c'est la nuit). J'avance, passe le portique fatal et m'arrête devant un mi-flic, mi-employé de la société d'autoroute qui m'annonce en allemand que je n'ai pas le droit de circuler sans vignette et que je suis passible d'une amende de 300 EUR, réduite à 150 si je paie sur le champ ! Je lui fais remarquer que rien au poste frontière ne signale l'obligation de la vignette et que c'est lui, le gabelou, qui m'a engagé à pénétrer sur l'autoroute. Rien à faire, il menace d'immobiliser mon véhicule et je paie 150 EUR. Pendant ce temps son acolyte arrête un couple de Grecs, aussi innocent que moi et leur sert la même soupe. C'est bien de parler grec : j'ai pu expliquer aux nouvelles victimes de l'arnaque slovène ce qui leur arrivait et j'ai déversé sur les deux faux-culs toutes les injures dont j'ai connaissance dans la langue d'Homère. Ca soulage un peu ! Et je suis reparti vers Trieste, léger d'argent et crachant de l'encre.

vignette autoroutiere slovene

Cet année 2015, nous empruntons le même chemin en famille. Mais à Obrezje, Sylvie achète une vignette pendant que la police contrôle les papiers de la voiture. Mais nous ne collons pas la vignette sur le pare-brise et l'on s'engage sur l'autoroute, direction Ljubljana. A la deuxième chicane, coup de sifflet, un flic qui demande les papiers du véhicule, puis prononce la phrase fatidique "Kontrola vinjeta". Naturellement, je fais celui qui ne comprend rien et ne parle ni allemand ni anglais, seulement français mais je sors de ma poche au bout de quelques minutes la vignette en règle ! Et j'ai sauvé ainsi le plumage de quelques dizaines d'automobilistes-pigeons que le gabelou s'apprêtait à arnaquer. Il me rend la vignette en disant "stick it on the glass", ce que je fais de bonne grâce.

Amis lecteurs rappelez-vous de cette histoire si vous devez passer par là. Surtout achetez cette damnée vignette et ne contribuez pas en payant une amende disproportionnée à l'entretien d'un Etat voyou, la Slovénie.








samedi 19 décembre 2015

Stage huiles essentielles à Tinos

Fin mai 2015, j'ai reçu trois stagiaires professionnels de santé dans la distillerie de Skalados. Et nous avons vécu un stage lumineux ! Partage de connaissances, perspectives de collaboration et bien sûr cueillette et distillation de plantes sauvages étaient au rendez-vous.
Je profite des photogaphies d'Aline et d'Anne pour proposer dans ce blog un reportage sur ce stage où l'on a distillé de la Sarriette des montagnes et de l'Hélichryse microphyllum.

stage huiles essentielles a Tinos

Cueillette d'Hélichryse en boutons avancés sur le mont Kechrovouni

stage huiles essentielles a Tinos


L'Hélichryse doit être distillée au début de sa floraison. Il faut choisir des boutons prêts à éclore ou de jeunes fleurs et récolter tôt le matin afin que le soleil ne dessèche pas la plante.

stage huiles essentielles a Tinos


De retour à  la distillerie on étale la récolte sur des sacs pour que les fleurs ne fermentent pas et perdent un peu de leur humidité. On distillera après le repas et la sieste !

stage huiles essentielles a Tinos

stage huiles essentielles a Tinos
stage huiles essentielles a Tinos
Après avoir introduit 3 l d'eau dans la chaudière de l'alambic, on tasse 5 kg de fleurs d'Hélichryse dans le cylindre de l'alambic et on lute le chapiteau sur le cylindre avec une pâte faite de farine et d'eau. Ainsi on ne perdra la précieuse vapeur chargée de molécules aromatiques.

stage huiles essentielles a Tinos

On raccorde l'alambic à son réfrigérant, on installe le ballon florentin, et on met sur le feu. Lorsque les premières gouttes de distillat se présentent il faut baisser la flamme pour extraire les molécules les plus légères, puis augmenter très graduellement la température et la pression pour obtenir les molécules plus lourdes. Au bout de deux heures environ la distillation par entraînement à la vapeur d'eau sera complète.

stage huiles essentielles a Tinos
L'huile essentielle - ici de l'huile de Sarriette - forme une couronne autour du ballon. La phase inférieure est l'hydrolat ou eau florale.

stage huiles essentielles a Tinos

stage huiles essentielles a Tinos

L'huile essentielle monte dans le col du ballon. Pour la recueillir on glisse une ampoule à décanter sous le bec du ballon. L'hydrolat qui possède aussi des propriétés intéressantes sera prélevé à part.











Voilà le résultat : une trentaine de millilitres

stage huiles essentielles a Tinos

Enfin il faut embouteiller le précieux liquide dans des flacons de verre ambré.



stage huiles essentielles a Tinos
Et ce jour là, la nature nous a fait une chouette surprise !







Merci à Aline, Anne et Christine de m'avoir autorisé à publier leurs photos.



Pour plus d'information sur les stages de distillation suivez ce lien

jeudi 17 décembre 2015

Grèce : le feuilleton de l'été

Premier article depuis le retour du blogueur en Gaule ! Naturellement il est consacré à la crise du printemps et de l'été 2015.
Rappelons nous de la situation au mois d'avril : en substance il s'agissait pour l'Eurogroupe de tordre le bras du premier ministre grec, issu de Syriza, pour qu'il aligne sa politique sur celle de son prédécesseur de Nouvelle Démocratie et inscrive dans la durée en Grèce l'austérité et ses corollaires, hausse des impôts, baisse des retraites et des salaires, instauration d'un Etat minimal. Le tout contre les 7 milliards restant à verser du deuxième plan d'aide et des promesses de réexamen de la dette.


Petit à petit le gouvernement grec s'est retrouvé dans les cordes, étranglé par les échéances de la dette du mois de juin. Il fallait alors soit renoncer à payer salaires des fonctionnaires et retraites, soit ne pas honorer la dette, notamment vis à vis du FMI, choix qui a été opéré. Le tout a été aggravé par la décision vraiment politique de la BCE qui s'est mise à limiter les crédits accordés au pays et a provoqué en retour des retraits massifs de liquidités par les déposants, mettant en danger l'existence des banques ! Le garrot était alors serré au maximum.
Les "lignes rouges" du gouvernement grec ont commencé à bouger le 24 juin : un rapprochement de ses positions avec celles de l'Eurogroupe s'est esquissé. Tsipras a proposé des hausses d'impôts pour les plus riches et l'augmentation de la TVA, passant à 23 %, une baisse des crédits militaires. Un accord a été envisagé, aussitôt torpillé par le FMI qui a adopté une position de classe : toucher aux riches serait une mesure qui favoriserait la récession, mieux vaut donc poursuivre l'étranglement des pauvres et réduire les dépenses ! Pendant ce temps, à Tinos, l'église orthodoxe servait des soupes populaires aux retraités !
Pas d'accord donc, ce qui a imposé le contrôle des capitaux et trois semaines de fermeture pour les banques aux abois. Le ministre Varoufakis a préparé alors l'édition d'une monnaie de nécessité, des reconnaissances de dette libellées en Euros, un cauchemar pour la Chancelière !
Alexis Tsipras a décidé d'en appeler au peuple. Les Grecs ont été invités à se prononcer sur la poursuite de l'austérité le 5 juillet. Austérité qu'ils ont repoussé à une large majorité (61 %), ce qui n'a pas empêché les créanciers de rester sourds à la voix populaire.


Restait à se soumettre ou à se démettre. Ioannis Varoufakis démissionnait le lendemain du référendum tandis qu'Alexis Tsipras, "coaché" par Hollande - qui a dû avoir bien peur pour la dette de la France - est allé à Canossa. Un accord était conclu le 13 juillet dans une ambiance exécrable. Une reddition sans conditions ! Privatisations, hausse des impôts indirects, réduction des retraites, le tout assorti d'un contrôle tatillon, contre le maintien dans l'Euro, la perspective d'un troisième plan d'aide et comme toujours de vagues promesses concernant la dette ! Retour de la Grèce à la case départ, comme si les élections de janvier et le référendum de juillet 2015 n'avaient pas existé. Comme si cette politique n'avait pas mené le pays à la catastrophe.
Syriza s'est scindé et Tsipras a dû accepter des soutiens à droite pour voter les premières mesures exigées par les créanciers. Cette ouverture à droite s'est trouvée confirmée par les résultats des élections anticipées du 20 septembre. Pour l'Eurogroupe la situation grecque est désormais sous contrôle.

Défaite de la gauche grecque qui chausse les bottes de ses adversaires, certes, mais aussi de l'Europe, qui a prouvé à la face du monde qu'elle se moquait du suffrage populaire, que sa solidarité ne pesait guère face aux marchés financiers, qui au reste ne se gêneront pas pour attaquer tout pays - même l'Italie, même la France, étonnamment aveugle ou complaisante - ayant des difficultés avec sa dette. Une Europe de la coercition.


J'ai rêvé d'Europe dans les années 90. Mon rêve a achevé de se briser dans la nuit du 12 au 13 juillet 2015 avec les vociférations du ministre allemand Schäuble.









vendredi 27 mars 2015

Le garrot européen

A quoi se résument depuis le 20 février les Eurogroupes, mini-sommets consacrés à la situation grecque et autres pantalonnades médiatiques ?
A un impératif politique absolu : faire plier le gouvernement Tsipras, rendre impossible la réalisation du programme sur la base duquel le peuple grec l'a porté au pouvoir en janvier de cette année. Donc nier sans l'exprimer le principe de la souveraineté du peuple.

Pourquoi ? Les Grecs ont été les premiers, et hélas encore les seuls, à refuser clairement les mesures de déflation interne imposées par la Troïka. S'ils se libéraient  réellement de ce carcan ils feraient école ailleurs en Europe, en Espagne et au Portugal notamment . D'où les cris d'orfraie identiques de MM. Rajoy et Coelho,  le premier de droite, le second  soi-disant socialiste, unis dans le chaste noeud du falsoculisme, avec la chancelière en seconde ligne ! Il faut que Tsipras échoue à tout prix ou presque.

Comment y parvenir ? La solution vient aussi d'Espagne : le vieux garrot du général Franco ! Garrotter financièrement la Grèce en ne lui versant pas l'argent qui lui a été promis c'est empêcher Tsipras de réussir et prouver aux peuples qui souffrent qu'il n'existe pas d'alternative à la domination de l'Europe par les conservateurs allemands.
Tsipras est coincé entre les exigences légitimes de son peuple et la nécessité de maintenir son pays dans l'Euro. Donc l'Eurogroupe exige des réformes pour libérer les fonds qu'il gèle, mais refuse la réforme fiscale profonde proposée par le gouvernement grec et jugée ridicule à Bruxelles. L'Eurogroupe exige de Tsipras qu'il chausse les bottes de son prédécesseur Samaras et prenne de nouvelles mesures d'austérité : hausse de la TVA et assouplissement des procédures de licenciement. Et puisque Tsipras fait la sourde oreille, on attend que le bourreau serre la vis du garrot. Le bourreau, c'est la dette qu'il faut rembourser.



A un instant d'expirer - de faire défaut sur une échéance, donc de sortir de l'Eurozone en déclenchant un crise ravageuse - on trouve 2 milliards et on laisse souffler le condamné.

Ca va durer longtemps ?


samedi 21 mars 2015

Tinos vue par Choiseul-Gouffier en 1781

Autre temps, autre sensibilité ! Le diplomate et antiquaire Marie-Gabriel de Choiseul-Gouffier (1752 -1817) visite la Grèce à la fin des années 1770. Son périple lui permet d'écrire Le Voyage pittoresque de la Grèce, dont le premier tome, richement illustré, parait en 1782. Le futur ambassadeur de Louis XVI à Constantinople y brosse le portrait d'un Grèce idéalisée, aspirant sous le joug ottoman à recouvrer sa liberté. Le comte de Choiseul-Gouffier, pré-romantique, jette un pont entre les Lumières et le philhellénisme des élites européennes des années 1820.


 Voici les textes et les estampes qu'il consacre à Tinos, tirés de Gallica, la bibliothèque numérique de la BnF.

p. 44 et sq.

Les femmes de l’île de Tine ont toutes les plus belles proportions dans les formes, de la régularité dans les traits & une physionomie piquante qui supplée souvent à la beauté & y ajoute toujours. L’habillement le plus voluptueux couvre leurs charmes sans les cacher.
Le commerce et l’industrie répandent dans cette île une aisance générale et une sorte d’égalité qui, sans confondre les classes de citoyens, empêchent les uns de se corrompre et les autres de s’avilir. Les femmes que dans d’autres climats, leur richesse où leur naissance sembleraient autoriser à l’inutilité, ne dédaignent point de s’occuper des détails intéressants de leurs ménages et travaillent avec plaisir aux vêtements que leurs enfants doivent porter. Dès que la chaleur tombe et que le soleil sur son déclin peut encore éclairer leurs travaux sans pouvoir nuire à leurs charmes, elles sortent de leurs maisons, s’asseyent devant leurs portes, filent la soie ou la dévident ; d’autres la tricotent ou préparent les feuilles de mûrier, pendant que leur vieille mère fait des contes, souvent interrompus par les chansons des jeunes filles. Je crus alors pour la première fois que les tableaux délicieux que nous offrent les auteurs grecs étaient moins l’ouvrage de leur imagination qu’une fidèle imitation de la nature.
Le travail facile et peu pénible auquel sont employées les servantes de l’île de Tine leur permet de conserver tous leurs agréments. Elles n’ont d’autre occupation que filer la soie ou de nourrir les insectes qui la produisent. Aussi voit-on régner partout cette propreté qui fait tant plaisir au voyageur, parce qu’elle est un gage certain du bonheur du peuple et qu’elle suppose toujours la facilité à se procurer les premiers besoins. L’heureux citoyen de la Hollande annonce son opulence par la simplicité de son extérieur. Le sujet de l’Espagne & de l’Italie couvre sa misère de lambeaux dorés. Les habitants de Tine sont assez riches pour n’être pas réduits à désirer le paraître.


L’amour de la patrie conservé chez tous les Grecs insulaires a encore plus de force chez les habitants de l’île de Tine. Les servantes qui en sortent en grand nombre et qui sont connues dans tout le Levant par leur habillement, leur fidélité et leur intelligence, ne perdent jamais le désir de revoir leur patrie et de venir y jouir d’une aisance qu’elles doivent à leur industrie. Le patriotisme des Tiniotes a déjà été remarqué par M. Guys, que des connaissances étendues et un long séjour dans la Grèce ont mis à portée de donner un parallèle intéressant des Grecs anciens et des Grecs modernes.



Suivant Etienne le géographe, l’île de Ténos retint le nom de celui qui s’y installa le premier. Bochart au contraire veut qu’il dérive du mot phénicien Tannoth, serpent ou dragon. En effet tous les historiens s’accordent à dire que cette île était remplie de serpents ; elle prit même le nom d’Ophiussa et donna dans la Grèce à la vipère celui de Taenia. Ils étaient si abondants et si dangereux que les habitants auraient été obligés de l’abandonner si Neptune n’était venu à leur secours et ne les en eût délivrés. Ils lui élevèrent un temple magnifique, dans un bois, près de la ville de Ténos. Ce dieu y était honoré comme un grand médecin et l’on y célébrait des fêtes en son honneur. Ce temple avait des droits d’asile fort étendus, qui furent depuis réglés par Tibère, ainsi que ceux dont jouissaient tant de lieux de la Grèce.
Tine est de toutes les conquêtes des Vénitiens dans l’archipel celle dont ils on joui le plus longtemps. Ils ne l’ont perdue qu’en 1714, par la faiblesse du Provéditeur Bernardo Balbi, qui se rendit à la première sommation de l’amiral turc, quoi qu’il eût pu trouver dans la valeur de ses soldats & dans la bonne volonté des habitants un secours suffisant pour atteindre les secours que la République lui envoyait.
Cette île est une des plus riches et des plus agréables de toute la Grèce & son peu d’étendue est réparé par sa fertilité. Elle n’a que 12 lieues de circuit & près de 20 000 habitants y sont répartis dans 60 villages ou hameaux. Quoique l’île produise une grande quantité de soie elle ne suffit pas à leur industrie ; ils en tirent encore de celle d’Andros & en fabriquent des bas dont ils fournissent tout le Levant.


A une lieue et demi de San-Nicolo est l’ancienne citadelle construite par les Vénitiens. Elle est située sur une haute montagne d’où l’on découvre presque toute l’île. C’est un tableau délicieux où tout annonce l’industrie des habitants & où tout parait assurer leur bonheur. Aucun officier turc ne leur rappelle l’idée d’un maître, & gouvernés par des magistrats de leur choix, ils semblent n’obéir qu’à eux-mêmes. La vieillesse n’a point perdu tous ses droits dans la Grèce. Ces magistrats portent le nom de Vieillards, quoiqu’ils ne le soient pas toujours & le jeune homme est flatté de voir ajouter à la considération que donnent les dignités, la déférence que la nature réclame pour la vieillesse. Ces insulaires m’on paru heureux, éloigné du despote & ne s’apercevant de leur servitude qu’un seul jours dans l’année, il leur est presque permis de se croire libres.



Tinos est un paradis en cette fin de 18e siècle ! La fin de la domination vénitienne a en effet signifié, après les terreurs consécutives à la reddition d'Exombourgo, la fin de la piraterie turque, la fin du régime de l'exclusif qui unissait étroitement l'île à son ancienne métropole, la fin du régime féodal. Tous ces facteurs se sont conjugués pour favoriser l'industrie de la soie. Tinos s'est ouverte au commerce d'Orient comme au commerce d'Occident, enrichissant ses habitants, développant son port et son rôle d'escale entre Marseille et Smyrne. A cela s'ajoute l'éloignement du pouvoir ottoman : les Turcs se montrent une fois l'an pour percevoir l'impôt des infidèles, le karadj et les tributs dus aux grands personnages, laissant les Tiniotes s'administrer eux-mêmes, par leurs Vieillards.
L'île atteint alors une grande population et une grande richesse, 20 000 habitants, 60 villages, elle est plus imposée que sa grande voisine de Naxos !
N'oublions pas toutefois la tendance de l'auteur à idéaliser la Grèce.

Dans la petite ville de San Nicolo, aujourd'hui Chora, dont le port se résume à une plage protégée, on peut reconnaître quelques bâtiments toujours présents de nos jours. Sur la première estampe (vue du Couchant), on distingue sans peine la vieille église catholique de saint Nicolas et son haut clocher dont la flèche porte à ses quatre angles une fleur de lys, à sa droite l'église orthodoxe de la Panagia Malamaténia, enfin, tout à gauche et face à la mer les grandes arcades de l'actuel café Koursaros. La vue du Levant est prise depuis le cap qui porte maintenant le monument de l' Elli. Outre saint Nicolas, on découvre une autre église orthodoxe, peut être celle des Trois Hiérarques, et tout au fond, à Pallada, le bâtiment du lazaret (où était effectuée la quarantaine des marins suspects de peste) qui se dresse toujours face au site de l'actuel petit marché.


samedi 7 mars 2015

Un voyageur français séjourne à Tinos en 1701


Me souvenant d'avoir lu il y a quelques années dans la collection 10/18 le résumé du Voyage du Levant de Pitton de Tournefort, j'ai voulu consulter l'édition originale de 1717, heureusement accessible en ligne grâce à Gallica, la bibliothèque virtuelle de la BnF. J'ai pensé que le texte intégral intéresserait les amoureux de Tinos et j'y ai ajouté quelques notes personnelles à consulter en pied de page pour faciliter la compréhension du contexte ou préciser certains points. Bonne lecture !



Joseph Pitton de Tournefort, Relation d'un voyage du Levant fait par ordre du Roy : contenant l'histoire ancienne et moderne de plusieurs isles de l'Archipel, de Constantinople, des côtes de la mer Noire, de l'Arménie, de la Géorgie, des frontières de Perse et de l'Asie mineure.... t. 1 / [préface par Fontenelle], Paris 1717, Imprimerie royale
p. 354 et sq.
Le livre se présente comme une série de rapports adressés à Pontchartrain, secrétaire d’Etat à la marine de la fin du règne de Louis XIV. L’auteur, directeur du Jardin du Roi (qui deviendra le Museum d’Histoire naturelle) s’intéresse certes aux plantes, mais il considère aussi d’un œil de stratège les possessions ottomanes, persanes et vénitiennes, dont Tinos, pour l’information du roi de France.

Joseph Pitton de Tournefort (1656 - 1708)
Il n’y a qu’un mille de distance de l’île d’Andros à celle de Tine comme Pline l’a remarqué ; nous passâmes ce canal le premier décembre dans un caïque car les six rochers qui en occupent le milieu ne le permettent pas aux gros bâtiments. Il faut 40 milles pour aller du port du château d’Andros à San Nicolo du Tine où nous n’arrivâmes que sur le sept heures du soir, & les officiers du port ne voulant pas prendre la peine d’examiner notre patente de santé à cette heure là, ni de faire avertir le Consul de France, on nous obligea à coucher dans notre bateau ; il est vrai qu’on eut l’honnêteté de nous offrir le lazaret (1) pour faire compagnie à quelques esclaves que la vermine dévorait.
Le lendemain le Consul de France dépêcha un expert à la forteresse à son Excellence Mgr Louis Cornaro (2), Provéditeur de l’île, qui nous accorda la pratique, comme ils parlent, c'est-à-dire la liberté de nous débarquer, mais la forteresse étant à quatre mille du port nous ne reçûmes cette permission que sur le midi.

L’île de Tine fut anciennement nommée Tenos, suivant Estienne le géographe (3), d’un certain Tenos qui la peupla le premier ; Hérodote nous apprend qu’elle fit partie de l’empire des Cyclades, que les Naxiotes possédèrent dans les premiers temps. Il est parlé des Téniens parmi les peuples de Grèce qui avaient fourni des troupes à la bataille de Platées (4), où Mardonius, général des Perses fut défait ; et les noms de tous ces peuples furent gravés sur la droite d’une base de la statue de Jupiter regardant l’Orient ; à voir même l’inscription rapportée par Pausanias, il semble que les peuples de cette île fussent alors plus puissants, ou aussi puissants que ceux de Naxos. Néanmoins ceux de Tenos, les Andriens et la plupart des autres insulaires, dont les intérêts étaient communs, effrayés de la puissance formidable des Orientaux, se tournèrent de leur côté. Xerxès se servit d’eux et de ceux de l’île d’Eubée pour réparer les pertes qu’il faisait dans ses armées. Les forces maritimes des Téniens sont marquées sur une médaille fort ancienne frappée à la tête de Neptune, révéré particulièrement dans cette île ; le revers représente le trident de ce dieu, accompagné de deux dauphins. Goltzius (5) a aussi fait mention de deux médailles de Tenos au même type. Tristan (6) parle d’une médaille d’argent des Téniens à tête de Neptune avec un trident au revers.


Le port de Chora (San Nicolo) en 1701 - le lazaret se trouve à l'extrême gauche, loin de la petite ville

Le bourg de San Nicolo, bâti sur les ruines de l’ancienne Tenos, au lieu de port n’a qu’une méchante plage qui regarde vers le sud & d’où l’on découvre l’île de Syra au sud-sud-ouest ; quoiqu’il n'y ait dans ce bourg qu’environ 150 maisons, on ne peut pas douter par le nom de Polis qu’il porte encore, et par les médailles et les marbres antiques qu’on y trouve en travaillant la terre, que ce ne soient les débris de la capitale de l’île. Strabon assure que cette ville n’était pas grande, mais qu’il y avait un fort beau temple de Neptune dans un bois voisin où l’on venait célébrer les fêtes de cette divinité et où l’on était régalé dans des appartements magnifiques. Ce temple avait un asile dont Tibère régla les droits de même que ceux des plus fameux temples du Levant. A l’égard de Neptune, Philocore, cité par Clément d’Alexandrie (7), rapporte qu’il était honoré dans Tenos comme un grand médecin, et cela se confirme par quelques médailles ; il y en a une chez le Roy dont Tristan et Patin (8) font mention : la tête est d’Alexandre Sévère, au revers c’est un trident autour duquel est tortillé un serpent, symbole de la médecine chez les Anciens ; d’ailleurs cette île avait été appelée l’île aux serpents.

Elle a 60 milles de tour, s’étend du nord-nord-ouest au sud-sud-est, pleine de montagnes pelées mais la mieux cultivée de l’archipel. Tous les fruits y sont excellents, melons, figues, raisins, mais la vigne y vient admirablement bien & c’est sans doute depuis longtemps puisque M. Vaillant fait état d’une médaille frappée à la légende, sur le revers de laquelle est représenté Bacchus tenant un raisin de la main droite et un thyrse de la gauche ; la tête est d’Antonin Pie. La médaille que M. Spon (9) acheta dans la même île est plus ancienne, d’un côté c’est la tête de Jupiter Hammon, de l’autre une grappe de raisin. A l’égard du froment on en sème peu dans cette île mais on y recueille beaucoup d’orge. Les figuiers de Tine sont fort bas & fort touffus, les oliviers y viennent fort bien, mais il y en a peu et leur fruit n’est destiné que pour être salé ; on y manquerait de bois et de moutons si on ne les tirait d’Andros, d’ailleurs le pays est agréable et arrosé de beaucoup de fontaines, qui lui avaient attiré chez les Anciens le nom d’Hydrussa, de même qu’à la plupart des îles où il y a quelques sources ; on a dit plus haut qu’on l’avait nommée l’île aux serpents, mais Hésychius de Milet nous apprend que Neptune s’était servi de cigognes pour les exterminer ; il faut que cela soit vrai, ou que la race de ces reptiles en soit éteinte puisqu’on n’y en voit plus (10).

La soie fait aujourd’hui la richesse de Tine : chaque année on y recueille environ seize mille livres pesant ; dans le temps que nous y étions, elle valait un sequin la livre, elle va quelquefois jusqu’à trois écus ; nos Français l’enlevèrent presque toute ; quoique ce soit la soie la mieux préparée de toute la Grèce, elle n’est pas pourtant assez fine pour faire des étoffes, mais fort propre à coudre et à faire des rubans ; on fait de bons bas de soie dans cette île, rien n’approche de la beauté des gants qu’on y tricote pour les Dames(11). Ceux qui font embarquer de la soie pour Venise ne paient aucun droit de sortie à Tine, ils donnent caution et la caution paie si l’on découvre que la soie a été conduite autre part ; la raison en est que cette marchandise payant l’entrée à Venise, elle paierait deux fois sur les terres de la République (12), si l’on en faisait payer la sortie à Tine.


La ville et la forteresse de Tinos en 1689

La forteresse de Tine où nous arrivâmes à cheval depuis San Nicolo en une heure de temps est sur la roche dominante du pays & où la nature a plus travaillé que l’art. La garde en est confiée à 14 soldats mal vêtus, au nombre desquels étaient 7 déserteurs Français ; nous y comptâmes environ 40 canons de bronze et 2 ou 3 canons de fer. C’est le séjour des plus honnêtes gens de l’île quoiqu’il n’y ait pas plus de 500 maisons, que le vent du nord et le froid, aussi âpre qu’à Paris rendent fort incommode ; le palais du Provéditeur est mal bâti, on n’y saurait conserver aucun meuble, non plus que chez les bourgeois, à cause de la grande humidité que les brouillards et les crevasses des terrasses y entretiennent. Les Jésuites sont assez bien logés mais leur église ne saurait contenir la moitié de leurs dévotes. Le P. Prati, supérieur de la maison nous y reçut fort honnêtement et nous eûmes le plaisir d’y dîner avec les Pères Foresti, Camuti et Federic. Son Excellence à qui nous allâmes faire la révérence nous invita aussi à dîner et nous offrit des gardes pour nous accompagner dans l’île. M. Antonio Betti, un des plus fameux avocats du Tine nous prêta sa maison du faubourg hors la forteresse, où il n’y a qu’environ 150 maisons, mais on a la liberté d’y entrer ou d’en sortir quand on veut, au lieu que les portes de la forteresse se ferment de bonne heure & ne s’ouvrent que tard.
Outre la forteresse et San Nicolo, les principaux villages de cette île sont :
Il Campo, Il Terebado, Lotra, Lazaro, Perastra, Cumi, Carcado, Cataclisma, Aitofolia, Chilia, Oxomeria qui contient 5 bourgades, savoir Pirgos, Vacalado, Cozonari, Bernardado, & Platia,
Cisternia, Cardiani, Disado, Mondado, Mastro-Mercado, Micrado, Carea, Filipado, Comiado, Arnado, Pergado, Cazerado, Cuticado, Smordea, Cozonara, Tripotamo, Cigalado, Agapi, Volacos, Fallatado, Messi, Muosulu, Stigni, Potamia, Cacro, Triandaro, Doui Castelli, Diocarea,
Cicalada, Sclavo Corio, Croio, Monasterio.
M. le Provéditeur ne retire environ que 2000 écus de son Gouvernement, aussi le regarde-t-on à Venise comme un lieu de mortification ; ce Gouverneur a la dixième partie des denrées ; de dix charges d’orge, par exemple on lui en paie une, pour la soie, ce n’est pas de même, ceux qui en font embarquer pour autre part que pour Venise, ne paient que trois écus et trois-quarts pour chaque centaine de livres ; le provéditeur n’a rien à voir avec sur ces droits.
L’Evêque de Tine a 300 écus de revenu de revenu fixe et près de 200 écus d’émoluments de son Eglise. Son clergé d’ailleurs est illustre et composé de 120 Prêtres ; les Grecs y ont bien 200 Papas, soumis à un Protopapas, mais ils n’ont point dans l’île d’Evêque de leur rite et eux-mêmes dépendent de l’Evêque latin en plusieurs choses : un Grec ne saurait être prêtre que cet Evêque ne l’ait fait examiner ; après que l’aspirant a juré qu’il reconnaît le Pape et l’Eglise Apostolique & Romaine, l’Evêque Latin lui fait donner son dimissoire pourvu qu’il ait 25 ans ; ensuite il est sacré par un Evêque grec venu de quelque île voisine, auquel il ne donne que 10 ou 12 écus pour son voyage ; le jour du sacre, le nouveau prêtre donne trois livres de soie au Provéditeur, autant à l’Evêque latin et un écu et demi au Protopapas qui lui a donné son attestation de vie et de mœurs.
Dans les processions et dans toutes les fonctions ecclésiastiques, le Clergé latin a toujours le pas, quand les prêtres grecs entrent dans les églises latines ils se découvrent suivant la coutume des Latins & ne se découvrent pas dans leurs propres églises. Lorsque la Messe se dit en présence des deux Clergés, après que le sous-diacre latin a chanté l’Epître, le second dignitaire du clergé grec la chante en grec, et lorsque le diacre latin a chanté l’Evangile, le premier dignitaire grec ou le chef des prêtres chante aussi l’Evangile en grec. Dans toutes les églises grecques de l’île il y a un autel destiné pour les prêtres latins (13) ; on prêche dans les églises grecques avec pleine liberté sur les matières contestées entre les Latins et les Grecs (14).
Il n’y a dans les églises latines que de simples chapelains amovibles (15). Nunzio Vastelli, chirurgien Maltais, ayant gagné du bien à Tine et n’ayant point d’enfants a adopté les PP. Récollets, il leur a fait bâtir une église et un couvent à la campagne ; ces Pères sont forts aimés mais ils ont peu de maisons dans le Levant. 
Les femmes des bourgeois et contadins (16), comme ils parlent, sont vêtues à la vénitienne, les autres ont un habit approchant de celui des Candiotes.


Pour ce qui regarde l’histoire de cette île, vous savez Monseigneur que c’est la seule conquête qui soit restée aux Vénitiens, de toutes celles qu’ils firent sous les Empereurs latins de Constantinople. André Gizi, d’où descend le sieur Janachi Gizi, que vous avez établi consul de cette île et dans celle de Mycone, se rendit maître de Tine l’an 1207 & la République en a toujours joui malgré les tentatives des Turcs. Peu s’en fallut que ce fameux Barberousse Capitan Pacha (17), qui fournit en 1537 presque tout l’Archipel à Soliman II, ne s’emparât aussi de Tine. André Morosini (18) affirme que cette île se rendit sans résistance, mais que peu de temps après, honteuse d’une pareille lâcheté, elle députa vers le Provéditeur de Candie dont elle reçut assez de secours pour se remettre sous la puissance de ses premiers maîtres. On ne conte pas la chose tout à fait de même à Tine, on dit que Barberousse pressant extraordinairement la forteresse, obligea la garnison de battre la chamade, mais que la noblesse voyant qu’il n’y avait que les habitants d’Arnado, Triandaro et Doui Castelli disposés à capituler, vint fondre si brusquement sur les Turcs, qu’elle les força de lever le siège. ; on ajoute même que les soldats de la garnison, dans leur furie firent sauter du haut des remparts l’officier que le Capitan Pacha avait envoyé pour régler les articles de la capitulation.
Pendant ce temps, pour reprocher aux habitants de ces trois villages le peu de cœur qu’ils montrèrent en cette occasion, le premier jour de mai le Provéditeur accompagné des contadins et des feudataires (19) de la République, suivis de la milice avec l’étendard de saint Marc va tous les ans à cheval à l’église de sainte Vénérande sur la montagne de Cecro et l’on y fait une grande décharge de mousqueterie après avoir crié trois fois Vive saint Marc, ensuite l’on danse & la fête finit par un repas. Les feudataires qui manquent de se trouver à cette cérémonie paient un écu pour la première fois & ils perdent leur fief s’ils y manquent jusques trois fois. Leunclave (20) assure qu’en 1570 l’Empereur Sélim (21) fit demander au Sénat de Venise la restitution de l’île de Chypre et que sur son refus Pialis Capitan Pacha fit une descente à Tine où il mit tout à feu et à sang. Morosini dit que la même année  les Turcs assiégèrent vigoureusement la forteresse de Tine, qu’Eve Mustapha mit à terre huit mille hommes de troupes de la flotte qu’il conduisait à Chypre et que cette descente se fit à la sollicitation pressante des Andriens, mais qu’elle échoua parce que le Provéditeur Paruta avait si bien pourvu à toutes choses que les Turcs malgré toute leur diligence furent contraints de lever le siège et de se retirer après avoir brûlé les plus beaux villages de l’île ; deux ans après ils la ravagèrent pour la troisième fois sous le commandement de Cangi Ali.
Quoique les Vénitiens n’aient pas de troupes réglées dans l'île, en cas d’alarme pourtant on y pourrait ramasser au premier signal plus de 5000 hommes : chaque village entretient une compagnie de milice, à laquelle le Prince fournit des armes et que l’on fait exercer & passer en revue fort souvent. Dans la dernière guerre Mezomorto Capitan Pacha (22) écrivit au Provéditeur, à la Noblesse et au Clergé de l’île qu’il ferait mettre tout le pays à feu & à sang s’ils ne lui payaient pas la capitation ; on répondit qu’il n’avait qu’à venir la recevoir, & lorsqu’il parut avec ses galères le Provéditeur Moro, bon homme de guerre, fit sortir mille ou douze cents hommes des retranchements de la marine à San Nicolo ; ces troupes empêchèrent par leur grand feu qu’on abordât et le Capitan Pacha voyant qu’on s’y prenait de si bonne grâce fit retirer ses galères ; à la vérité cette milice est bonne pour canarder dans les retranchements, mais elle ne serait pas propre à tenir la campagne & à se battre à découvert. Pour se rendre le maître de Tine il ne faudrait qu’amuser les troupes à San Nicolo pendant qu’on ferait une descente au port Palermo, qui est le meilleur port de l’île du côté du nord ; ces troupes qui ruineraient le pays et tireraient facilement leur subsistance de l’île d’Andros, affameraient bientôt la forteresse, seul boulevard du pays, car San Nicolo est ouvert de tous côtés.
Le mauvais temps ne nous permit guère d’herboriser dans le Tine ; nous y observâmes pourtant quelques belles plantes, entre autres celle d’où coule la manne de Perse (23), mais nous ne pûmes aller voir les autres raretés de l’île, comme la caverne d’Eole, la tour de la Donzelle, les restes du temple de Neptune, la Madonna Cardiani ; trop heureux de pouvoir traverser le canal de Mycone où nous avions dessein de passer le reste de l’hiver et où nous n’arrivâmes pas sans danger à cause des furieux sauts que faisait notre caïque. Cela nous confirma dans la pensée de ceux qui ont cru que l’Archipel avait été nommé par les Anciens la mer Egée parce qu’au moindre vent ses flots bondissent comme des chèvres, de même qu’on l’a remarqué plus haut (24).
Nous finirons cette lettre par la station géographique que nous fîmes tout au haut de la forteresse de Tine, d’où l’on découvre facilement les îles voisines.
Joura reste à l’ouest, Syra au sud-ouest, Andros entre le nord-ouest et le nord-nord ouest, Paros au sud, Délos entre le sud-sud-est et le sud, Scio entre le nord-nord est et le nord-est, le cap Carabouron (25) au nord-est, Scala Nova (26) à l’est-nord-est, Samos entre l’est et l’est-nord-est, Nicaria à l’est, Fourni à l’est-sud-est, Mycone au sud-est, Amorgo entre le sud-sud-est et le sud-est, Naxie entre le sud-sud-est et le sud.


J’ai l’honneur d’être avec un profond respect, etc.

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1 - C'est dans le lazaret qu'était effectuée la quarantaine des voyageurs, c'est à dire leur isolement pendant quarante jours (durée théorique) afin de préserver les populations de la peste. Le lazaret de Tinos se trouvait à l'arrière de l'actuelle église catholique de saint Antoine, à Chora.
2 - Cadet d'une puissante famille ducale de Venise, cf. le Palazzo Corner sur le Grand Canal.
3 - Estienne le Géographe ou Estienne de Byzance est un écrivain grec du VIe siècle qui compila les géographes antiques : Hérodote, Strabon, Pausanias.
4 - En 479 av. J.-C. Victoire décisive des Grecs coalisés contre Mardonios, chef des Perses. Cette bataille conclut la première guerre médique.
5 - Je pense qu'il s'agit d'Hubert Goltzius, peintre et graveur flamand (1526 - 1583).
6 - Tristan l'Hermite du Soliers, (1601 - 1655), auteur dramatique baroque et antiquaire dilettante. 
7 - Père de l'Eglise du IIIe siècle, surnommé le Pédagogue
8 - Gui Patin (1601 - 1672), médecin et homme de lettres
9 - Jacob Spon, medecin et archéologue lyonnais (1647 - 1685) publia en 1678 une relation de voyage inspirée de Pausanias, relation qui fit référence jusqu'au xixe siècle et dont Chateaubriand se servit lors de son voyage vers Jérusalem: le Voyage d'Italie, de Dalmatie, de Grèce et du Levant en trois volumes.
10 - Voici un passage à opposer aux nombreux auteurs de guides touristiques qui affirment que Tinos est emplie de serpents ! Hésichius de Milet est un historien byzantin du VIe siècle.
11 - Les armateurs de Marseille, protégés par les Capitulations signées entre la France et la Porte achetaient et embarquaient les soies du Levant. Ce commerce atteignit son apogée vers 1780. La sériciculture explique le grand nombre de mûriers dans l'île de Tinos et Sylvie et moi avons vu à Loutra dans un bâtiment abandonné des métiers à tricoter les bas de soie portant l'estampille d'un constructeur de Nîmes.
12 - Il s'agit bien sûr de la Sérénissime République de Venise, qui gouverne Tinos depuis 1389.
13 - On voit à Tinos des églises à double autel et à double nef, celle du cimetière d'Agapi par exemple. Cette particularité pourrait venir de l'obligation d'un autel catholique dans les églises orthodoxes.
14 - Toutes ces pratiques contribuaient à faire des Orthodoxes des habitants de seconde zone ! S'y ajoutait le poids de la seigneurie latine. On comprend le peu d'empressement des habitants de Triandaros, Dyo Choria et Arnados, tous de rite grec jusqu'à nos jours, à repousser les Turcs, certes infidèles mais porteurs d'une fiscalité plus légère et davantage respectueux des chrétiens orientaux.
15 - Cette tradition parait s'être conservée : les prêtres catholiques ne sont toujours pas attachés à une paroisse particulière.
16 - De l'Italien contadino, paysan
17 - Barbaros Hizir Hayreddin Pacha (1478 - 1546), Kapudan Pacha ou Capitan Pacha, c'est à dire grand amiral de la flotte ottomane. Soliman II est plus connu de nos jours sous le nom de Soliman le Magnifique.
18 - André Morosini (1558 - 1618) est un historien Vénitien, à ne pas confondre avec Francesco Morosini, qui reprit le Péloponnèse et l'Attique aux Turcs en 1685 - 1687.
19 - Les Ghizzi introduisirent à Tinos le système féodal latin codifié par les Assises de Romanie (milieu du XIVe siècle). Venise conserva le système. De nombreux Tiniotes d'origine latine sont les descendants de ces nobliaux.
20- Jean Leuclave, humaniste allemand
21- Le sultan Sélim (1566 - 1574), dit l'Ivrogne, voulait l'île de Chypre dont il appréciait le vin ! La défaite des Vénitiens et le martyre du provéditeur Bagradino provoquèrent la réaction des flottes de Venise, de Castille, de Gênes et du pape et la victoire navale de Lépante, premier coup d'arrêt porté à la puissance ottomane.
22- Mezzomorto Kapudan Pacha, grand amiral de la flotte ottomane de 1695 à 1701, artisan d'une rénovation de la marine turque.
23- Il s'agit de l'Alhagi, plante de la famille des Légumineuses, caractéristique des régions sèches.
24- Le canal de Mykonos reste fort dangereux lorsque souffle le vent du nord, ce qui est fréquent !
25- Le cap Karabouron se trouve à l'extrémité se la péninsule de Tchesmé, en Asie Mineure.
26- De nos jours Kusadasi, le port de l'ancienne Ephèse.


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